mercredi 29 février 2012

Automne, un petit texte indépendant

 Une fois n’est pas coutume, ce message n'aura aucun lien avec Pax Europae ! (Soulagé ? changerait-on enfin de registre ?)

Il y a quelques temps j'avais été prié par Scriptor, un fanzine littéraire de mon nouveau chez-moi finlandais, de rédiger un texte en français dans le cadre d'une multiplication des langues représentées. Voici ce qui en est ressorti ! Pour la petite histoire, le texte m'a été inspiré par un vers de ma chère et tendre ( ici traduit et en italique ), qui représentait simplement l'automne. Ce fut donc un travail de réinterprétation très personnel...

Pour l'occasion, je vous suggère la piste Ruska d'Apocalyptica. Ruska, en finnois, signifie "couleurs d'automne" et par extension la période l'automne où les feuilles sont rousses et finissent par tomber des arbres...



Les feuilles tombent des arbres, les voitures ne roulent plus. Voitures et feuilles immobiles. 

Le murmure des branches est doux et régulier, comme une mélodie connue des arbres seuls. Ils chantent un temps que les moins de vingt ans ne pourraient pas connaître, mais il n’y a plus personne pour les écouter, hormis les immeubles impassibles. L’herbe pousse partout, libérée des parcs, des enclos, des périmètres, des droites et des angles, du béton et de la pierre. Elle s'enhardie à percer le macadam, année après année, montant à l’assaut d’un ciel d’où ne tombent plus cette pluie qui autrefois la délavait en un jaune maladif. Il n’y a plus personne pour la couper dans un ronronnement mécanique et l’odeur entêtante de l’essence, plus personne pour l’empoisonner d’un jet toxique issu du génie, du progrès et de la science. Car aujourd’hui, les voitures ne roulent plus. 

Les lampadaires sont toujours alignés au garde-à-vous au bord des interminables routes qui se croisent et se rejoignent sur des kilomètres et des kilomètres, mais aucune ampoule ne brille plus. Les oiseaux s’y perchent pour observer l’immense ruban d’asphalte qui s’étale comme l’immonde ramification d’une tumeur qu’on appelait autrefois une ville. D’immenses flèches de verre et de granit grattent les nuages, et le vent qui s’engouffre entre ces tours cyclopéennes semble hurler un sinistre cri de victoire. Les plaques brillantes qui en recouvraient la surface ont commencé à disparaître, brisées par le temps. Dans les bureaux inoccupés les feuilles se sont envolées et répandues sur les moquettes rongées par l’humidité et les insectes. Les cafetières sont toujours branchées sur des prises d’où ne sort nul courant, les tasses attendent l’arôme corsé d’un arabica qui ne viendra plus. Les ordinateurs semblent tous morts, leurs écrans noirs se couvrant lentement d’une fine mousse verdâtre. Dans le hall, le lichen a d’ores et déjà commencé son exploration des lieux et grignote les murs, les rampes d’escalier et le comptoir abandonné. Il n’y a personne pour surveiller les caméras de sécurité depuis longtemps hors service, leur œil morne définitivement tourné vers le néant. Plus personne ne surveille, et il n’y a plus personne à surveiller. Car aujourd’hui, les voitures ne roulent plus. 

La neige tombera bientôt, recouvrant ce qui reste de l’Homme d’un linceul blanc. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la nature ne porte pas son deuil, elle ne fait que suivre son cours. Les feuilles tombent des arbres, mordorées par l’automne. Elles s’amassent en désordre dans les dédales citadins, poussées par les rafales en tourbillons merveilleux, comme si elles dansaient pour célébrer la fin de la saison et accueillir l’hiver. Car elles reviendront au printemps, annonçant les bourgeons et les pollens dans un feu d’artifice de couleurs et de senteurs. Les arbres retrouveront leur splendeur, et leurs ramures s’étendront à nouveau vers le bleu du ciel, quand la neige aura fondu et disparu. Car ainsi est la nature, et le temps suit son cours. Les feuilles tombent des arbres pour mieux renaître dans quelques mois. Les voitures, elles, ne rouleront plus jamais.

4 commentaires:

Kevin K. a dit…

Très réussi dans l'ambiance, alors que c'est court. Tu vois que les descriptions, tu t'en sors bien ;)

Ça a été publié dans le fanzine finalement ?

Florent Lenhardt a dit…

Merci :-) J'avoue que quand elle m'a traduit le poème j'ai pas vraiment interprété l'immobilité de la même façon et ça a déclenché une vision très précise de ce que je voulais écrire. C'est sorti un peu comme "Lettre à l'Humanité", d'un seul coup, durant la nuit.

Et oui, ça a été publié dans le zine :-)

Kevin K. a dit…

A quand la liste des parutions censurées par le Minsière de la Culture Commune sur ta fiche d'auteur ? :D

Florent Lenhardt a dit…

Y a pas encore grand chose mais c'est pas une mauvaise idée, ça me permettrait d'expliquer brièvement les exemplaires WTF Le Manuscrit qui traînent par là ^^