Je vous souhaite à tous une excellente Journée de l'Europe ! En ces temps de Crise, de doutes et de regain nationaliste, l'ambiance n'est certes pas vraiment à la fête, mais nous vivons une période qui porte autant de promesses que de risques... Je ne tartinerai pas des tonnes sur la véritable Fête de l'Europe ou ce qu'elle m'inspire, on l'aura je crois déjà compris. En revanche, pour célébrer la fête nationale des États Unis d'Europe dans Pax EU, je me suis dit qu'un extrait du tome 5 "Consciences", sur lequel je planche actuellement (réécriture post-découpage powa), serait... de circonstance ! Jugez-vous même :-)
Amsterdam. 9 mai 2034.
Les
rues étaient envahies par une bonne dizaine de milliers de personnes venues
protester contre l’implantation dans leur ville de l’Etat Major de l’Eurocorps,
évacué d’Oslo sous la pression russe. Mais le choix de cette journée n’était le
fruit du hasard : Le cortège festif de la fête nationale allait bientôt
rencontrer au hasard des avenues et des boulevards la manifestation organisée
par le Parti Défédératiste Régional. Un comité d’accueil d’une bonne centaine
de CMO formait un cordon de sécurité qui devait empêcher les Défédératistes de
déclencher une émeute contre les citoyens fêtant la journée de l’Europe sur
fond du débat sur la Peine de Mort par Référendum. La confrontation symbolique
s’annonçait violente, Euronews et Euromédia avaient dépêché plusieurs hélicoptères
pour l’occasion.
Le
martèlement des pas se joignait aux cris dans un grondement qui montait
crescendo. L’odeur de gasoil qui flottait dans l’air couvrait à peine un autre
effluve, plus rance. Celui de la peur.
Harbrecht
avait les tripes nouées. Depuis que l’annonce d’un cordon de CMO avait circulé
dans les rangs des protestataires, l’angoisse était monté au sein du
gigantesque rassemblement. Les regards se faisaient moins assurés, les slogans
étaient criés avec moins de vigueur, on surveillait les chauffeurs – casseurs
authentiques et flics infiltrés. Personne, en cet instant, n’espérait
réellement voir l’affrontement se produire, du moins pas en tant qu’agresseurs.
Tramper ne savait que trop bien faire dégénérer les choses pour prendre de
bonnes photos qui feraient sensation dans le Federal Post… Parmi les roublards défédératistes que le jeune
étudiant en Histoire avoir eu l’occasion de rencontrer, certains étaient même
spécialement formés pour repérer les POG – leur doux nom de code pour Petite
Ordure Gouvernementale – et les « isoler ». La FedPol avait appris à
se méfier lorsqu’elle envoyait des agents en civil titiller les manifestants à
fleur de peau.
Après une
dizaine de minutes de marche inquiète dans un centre-ville bouclé à double-tour
et illuminé d’un immense ballet de gyrophares, Harbrecht déboula sur une avenue
où se pressait déjà une dizaine de milliers de personnes. La plupart avaient le
visage masqué par un foulard ou un bandeau, car depuis les émeutes qui avaient
saccagé le Parlement Européen de Berlin, le nombre de caméras de surveillance
avait plus que triplé dans toutes les métropoles des Etats Unis d’Europe. Beaucoup
de meneurs défédératistes avaient été traînés au tribunal avec ces seules
vidéos pour preuves. Tous avaient été condamnés.
–Harbrecht, ne t’éloigne pas de
moi !
Le
jeune homme de dix-sept ans chercha son ami Maartens du regard. Il
l’entraperçut entre deux grands costauds qui lui barrèrent la vue. À force
d’excuses et de raclements de gorge, il parvint à traverser la foule pour
arriver à la hauteur de son camarade. C’était à peine s’il sentait encore ses
jambes engourdies par l’angoisse de cet inconnu qui sentait le souffre. Les
visages cagoulés des inconnus balayés par les gyrophares bleu et vert de la
police et le rouge orangé des fumigènes donnaient à la foule une aura irréelle.
–Les CMO sont au bout de
l’avenue, l’informa son camarade, la voix tremblante d’excitation. Tu te
rappelles ce que je t’ai dit ?
Le jeune Harbrecht
hocha du chef, connaissant par cœur les règles qu’il fallait respecter au cas
où les choses tourneraient mal. On lui avait même distribué une photocopie de
qualité à peine digne d’un pamphlet, écris en caractères minuscules pour
économiser le papier, afin qu’il n’oublie pas les « conseils de
survie » des Jeunes Etudiants Défédératistes. Il resserra les lanières de
son sac à dos pesant et jeta un regard anxieux aux alentours.
–Qu’est-ce qu’il y a ?
ricana Maartens. Ne me dis pas que tu as peur !
La
voix moqueuse était presque couverte par les sifflets et les porte-voix. Mais
ce n’était pas un sarcasme authentique et mesquin. C’était l’un de ces
encouragements typiques qui vous taquinaient seulement l’égo et dont leur
professeur d’Histoire Contemporaine abusait jusqu’au traumatisme étudiant.
« Vous avez bien parlé, monsieur
Müller, mais vous n’aviez rien à dire. »
–Si, un peu, en fait, avoua-t-il sans
lâcher son aîné d’une semelle. C’est ma première manif’.
–Je ne l’ai pas oublié. T’en
auras d’autres, le rassura Maartens. Dis-toi que ta voix dans la rue remplace
ta voix dans les urnes, celle que notre gouvernement de pourris qui nous dirige
nous a volés. Et tant qu’à faire autant taper sur tous ces crétins décérébrés
qui fêtent la journée de l’Europe Carcérale. Laisses sortir tout ce que t’as
sur le cœur ! C’est la seule liberté qu’il te reste… avec, bientôt
peut-être, le droit de voter pour l’exécution d’un autre eurocitoyen.
Harbrecht,
mal à l’aise, hocha à nouveau de la tête. Ses yeux passaient d’un manifestant à
l’autre, il se sentait poussé par la masse, toujours en avant. Se serait-il
arrêté qu’il aurait été certainement piétiné par la foule impatiente d’en
découdre avec qui que ce soit. Des barres à mine apparurent comme par magie,
des battes de base-ball, des poings américains. Une paranoïa récente s’éveilla
chez l’étudiant qui se prit à se demander si l’un des défés cagoulés était en
réalité un POG.
–Combien il y a de CMO ?
demanda Harbrecht d’une voix chevrotante.
–Une petite centaine, éluda l’autre,
je n’en sais rien. Tu as les bouteilles ?
–Dans mon sac.
–Parfait…
La
foule les poussa jusqu’à ce que les premiers rangs de manifestants se trouvent
à une dizaine de mètres du cordon de CMO. Harbrecht calcula le nombre de
rangées qui le séparaient des policiers. Une petite dizaine, tout au plus…
–On est trop près, dit-il en
trahissant son angoisse. Il faut qu’on dégage tant qu’on le peut encore !
–T’inquiètes pas, c’est la
meilleure place ici. Ouvre ton sac, qu’on prépare les projectiles.
De
l’autre côté de la barrière infranchissable des CMO aux visières convexes
anonymes, le cortège de la fête nationale devenait de plus en plus imposant. Il
y avait une foule gigantesque de chaque côté du cordon de sécurité, et des
insultes criées à la volée commencèrent à fuser de chaque côté.
–Retournez lécher les bottes de
Tramper ! hurla Maartens à l’attention des CMO qui restèrent impassibles.
La
cohue avait gagné toute la foule, et Harbrecht, noyé par le flot continu
d’insultes et de bravades, se contenta de lever le poing comme les autres, sans
dire mot cependant. L’air était déjà rempli de l’odeur âcre des fumigènes rouge
ou orange que brandissaient certains manifestants.
–Hé ! T’es mou, lui reprocha
Maartens, vas-y, crie un peu !
–Nan, c’était pas une bonne idée
de venir ici.
–Ho ! Tu vas pas te débiner
maintenant que ça commence à devenir excitant.
–Ça commence surtout à aller trop
loin. S’ils chargent, on est mort.
Trop
loin ? A quoi s’attendait-il donc ?
Une vitrine
explosa à moins de vingt mètres de là, la sonnerie d’alarme siffla au milieu du
brouhaha. Un poste radio fut jeté d’on ne sait où et se fracassa sur le sol, à
quelques mètres de la rangée de CMO. Une télévision miniature subit le même
sort. Apparemment, c’était un magasin d’électroménager qui venait d’être
fracturé. Une odeur âcre de plastique brûlé flottait dans l’air, une poubelle
avait été incendiée quelque part. Puis le son strident d’un sifflet calma les
deux foules. Les CMO levèrent leur bouclier de plexiglas et dégainèrent leurs
bâtons électriques. Les chefs d’unités braquaient sur la foule leur fusil
mitrailleur Défenseur, les commandos marchèrent de trois pas vers la foule qui
recula d’instinct.
–Ils vont charger, prépare les
bouteilles !
D’autres
hommes sortirent des camionnettes qui formaient le cordon de sécurité. Deux
cent CMO séparaient à présent les Fédéralistes et les Défédératistes. Les CMO
ne se tournaient pourtant que vers les protestataires, ignorant les insultes
des festifs.
–Maintenant ! hurla Maartens
en saisissant une bouteille de bière vide du sac de son ami.
Plus
habitué à ce genre de rassemblements, Maartens ne resta pas figé comme son
camarade et envoya la bouteille qui éclata contre un bouclier de CMO. Ce fut le
signal : des dizaines et des dizaines d’objets, du pétard au pavé en
passant par les canettes et les caillasses, une nuée de projectiles s’abattit
sur le rang de CMO qui essuya l’assaut avant de se mettre en marche vers la
foule. Comme si de rien n’était, le verre brisé craquant sous la semelle de
leurs rangers. Ils avançaient d’un pas ferme, mécanique, la visière de leur
casque dissimulait toute émotion, des arcs bleutés crépitaient de leurs bâtons
électriques. C’était presque une armée de robot qui s’avançait vers eux,
programmée pour une seule chose : écraser toute opposition.
–Ils sont plus rapides que
d’habitude, remarqua Maartens avec une pointe d’inquiétude.
–Je propose qu’on dégage !
Et vite !
–Ouais, réalisa-t-il alors que le
premier rang se faisait complètement passer à tabac. On se casse !
La
foule refluait maintenant dans les petites ruelles, espérant échapper aux CMO
qui se livraient à de spectaculaires arrestations musclées sous les yeux des
caméras. Ces images qui avant auraient mis à dos l’opinion publique devenaient
maintenant la preuve irréfutable que Tramper allait faire le ménage comme il
l’avait promis. La panique gagna les premiers rangs de Défédératistes qui se
piétinèrent littéralement pour fuir les impitoyables Commandos du Maintien de
l’Ordre.
–Par ici ! fit Maartens en
saisissant Harbrecht par le bras.
Ils
sortirent du cortège en débandade pour s’abriter derrière une voiture garée
dont les vitres avaient été étoilées à coup de batte, l’autoradio fracturé. De
l’autre côté, la foule se ruait vers les points de sortie possible. Certains ne
furent pas assez rapides et se virent tirer comme du bétail vers les
camionnettes. Le défédératiste avait la sueur au front.
–Ça ne se passe pas comme ça
d’habitude.
–La Loi Martiale, comprit son ami.
C’était couru d’avance…
–Non, non, même pendant la loi
martiale… quelque chose…Merde, quelque chose a changé.
Harbrecht,
le pouls accéléré par l’adrénaline, jeta un coup d’œil par-dessus le capot de
la voiture et vit des duels entre CMO par groupe de deux ou trois contre des
hommes seuls, armés de barres à mine. Un policier gisait sur le sol, un
Défédératiste l’achevait à coups de pieds répétés dans l’estomac. Plus loin un autre
commando défigurait un jeune homme à coup de bâton électrique. Lorsque sa
victime tomba dans l’inconscience, il la traîna par la cheville jusqu’à une
camionnette dans laquelle elle fut jetée sans ménagement.
–Plus jamais tu ne m’emmèneras
dans une connerie pareille, cracha Harbrecht paniqué.
Il
se rendait compte qu’il n’était même pas sûr de savoir exactement pourquoi il
était là… Il eut été trop facile de mettre ça sur le compte de la manipulation,
après tout ses nouvelles fréquentations avaient forcément déteint sur lui, mais
savait-il vraiment pourquoi il manifestait ? Contre la loi martiale ?
Contre la guerre ? Contre ces foutues caméras de surveillances qui
pouvaient vous filmer toute la journée sans jamais vous perdre de vue un seul
instant ? Contre Tramper ? Pour la Défédération ? Mais le
vacarme des explosions de verre et des hurlements de panique le ramenèrent vite
à la réalité. S’il avait voulu y réfléchir, il aurait dû le faire avant de
foncer tête baissée dans ce piège à rat
–Je comprends pas ! répétait
inlassablement son ami, toujours incrédule.
Ils
rampèrent au milieu des éclats de verre et se précipitèrent dans la vitrine
fracturée. Les sèches-linge gisaient sur le sol, les télés avaient été volées
ou jetées au sol – travail de POG probablement ; la caisse quant à elle
avait été pillée. Les deux jeunes gens se tassèrent derrière un réfrigérateur
américain assez massif pour les cacher tous les deux. Harbrecht reprit son
souffle et écouta son cœur battre la chamade.
–On va se faire prendre !
–Ta gueule, on va pas se faire
prendre !
Maartens
retourna sa main et grimaça. Un éclat de verre était fiché dans sa paume, et le
sang coulait abondamment.
–Et merde. (Il ôta sa veste et
déchira son T-shirt pour s’en faire des lamelles) Je pisse le sang. Tiens, fait
un nœud et serre fort !
Sans
parvenir à réfréner ses tremblements, Harbrecht prit les lamelles de tissu et
enveloppa la paume de son ami avant de faire un nœud sur le dos de la main,
serrant de toutes ses forces, si fort que son compagnon en grimaça de douleur.
La poix rouge sombre lui collait déjà aux doigts.
–Et maintenant, qu’est-ce qu’on
fait ?
Le
défédératiste réfléchit et se redressa contre le réfrigérateur, les genoux sous
le menton.
–Il faut qu’on dégage de là. Le
tramway ne fonctionne certainement pas et risque sinon d’être contrôlé. Le
métro doit déjà être bouclé…Il faut rentrer à pied. Sortons déjà de ce magasin,
s’ils nous y trouvent, ils vont croire que c’est notre boulot !
Ils
sortirent de leur cachette et regrettèrent d’avoir tant attendu : la foule
s’était depuis longtemps dispersée devant la vitrine, et les CMO occupaient une
bonne partie de l’avenue. Il ne serait pas facile de s’éclipser discrètement au
nez et à la barbe des commandos. Harbrecht se rappela alors une de ces
fameuses règles d’or : Ne jamais se retrouver isolé. D’un regard torve à Maartens
il se demanda s’il avait vraiment eu tant d’expériences que ça. Ou bien les
choses avaient-elles vraiment changé à ce point ?
–Le visage près du sol, on longe
les voitures garées, c’est clair ?
–Je me souviens, confirma-t-il.
Les
deux jeunes hommes se glissèrent comme des ombres derrières la colonne de
voitures stationnées, toutes en piteux état, certaine littéralement incendiée.
Mais leur escapade ne resta pas longtemps discrète. Une manifestante en veste
de cuir râpé et foulard sur le visage les aperçut et bondit vers eux depuis le
kiosque à publicité derrière lequel elle s’était tapie. Harbrecht la maudit
d’abord pour sa stupidité, lui faisant signe de rester planquée au lieu
d’attirer l’attention sur eux. Puis il comprit. Elle arracha le foulard de sa
figure et hurla quelque chose que le vacarme rendit incompréhensible. En
revanche, elle brandissait clairement une carte de la FedPol dans une main, et
un automatique dans l’autre. Des ordres furent beuglés à la volée, et plusieurs
groupes de CMO accoururent dans leur direction, le pas lourd et rythmé.
–Là, on est mal barré, analysa
rapidement Maartens. Ton sac, jettes-le vite !
–Je l’ai laissé dans la
vitrine !
La
femme accourait vers eux, visiblement contente de sa prise. Ses cheveux
châtains coupés court flottaient dans l’air enfumé et asphyxiant comme une de
ces foutues pubs au ralenti sur Eurosoport. Ça la rendait encore plus
détestable, cette fouine.
–Parfait. Laisses-toi faire
maintenant, et tout se passera bien. Ne résiste pas !
–Ma mère va me tuer quand elle va
apprendre ça… S’ils doivent me chercher au poste de CMO, je vais me faire
emmurer dans ma chambre jusqu’à la fin de ma vie !
–Estime-toi heureux si tu gardes
toutes tes dents…
Pour ceux qui débarquent sur pax-europae.eu et qui se demandent s'il n'y a pas un paradoxe entre mes opinions européistes et l'Europe Fédérale que je décris, les explications sont par-ici... :-)
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