mardi 10 janvier 2012

L’Européisme, un nationalisme européen ?

Dit comme ça, évidemment...
Dans l’univers de Pax Europæ, l’européisme est un élément central du développement tant de l’intrigue que des personnages, que ce soit explicite ou non. C’est l’européisme qui pousse Victor Wilem, Maurice Galligart et les autres à fonder les Etats Unis d’Europe, et Erwin Helm, trente ans plus tard, à encourager ses camarades à questionner le système sans pour autant rejeter l’Europe fédérale. Dans le tome 7, Grégory dit même à ses amis qu’il faut rendre aux EUE ce qui les a fondé, à savoir l’européisme, et inutile de sortir de l’Académie d’Oslo pour comprendre que c’est donc censé être une valeur positive, ou ce que j’en pense à un niveau strictement personnel. Pourtant, l’actualité et mes lectures récentes me poussent à développer un peu sur le sujet. L’européisme, une vaste question, et difficile à définir, qui plus est (le mot n’est même pas dans mon Larousse 2009 qui comprend pourtant tout une palanquée d’eurovocabulaire à faire trembler Orwell). Néanmoins, au détour d’un blog eurosceptique « La lettre volée », l’auteur faisait très justement remarquer que bien souvent, les fédéralistes et pro-européens qui fustigeaient le souverainisme national ne faisait que revendiquer un souverainisme européen, faisant de fait de l’européisme un euronationalisme. Je suis plutôt d’accord sur le fait que souvent, c’est bien le cas, mais pour moi, il faut distinguer quelques différences essentielles dans ma propre vision de l’européisme, et donc de ce que j’entends par ce mot dans les textes de Pax Europæ.

Pour commencer, j’aimerai justifier mon choix du mot européisme au dépend d’européanisme. Etant donné que le dictionnaire ne peut m’expliquer la différence car ignorant ces deux noms, je me suis tourné vers la source de ma gloire éphémère, le wiktionnaire (mes lecteurs habituels comprendront). Là, les deux mots sont supposés être synonymes, européanisme étant seulement plus ancien, et européisme un néologisme. Toutefois, dans l’utilisation courante de ces deux mots, je distingue habituellement l’européanisme de l’européisme par une nuance politique. Européanisme, dès le XIXème siècle, a été utilisé pour parler d’un sentiment d’unité culturelle européenne, une unité de pensée, la « nationalité européenne » semblable à la « nationalité grecque » antique selon l’expression de Victor Hugo. Européisme, en revanche, serait plus politique et plus moderne, employé par Jules Ferry en 1915 et repris ensuite. C’est le mot favorisé par les fédéralistes, il est donc logique que je le conserve dans Pax Europæ. Mais s’il désigne un sentiment favorable à l’unité politique européenne, difficile de dire si l’on peut étymologiquement garantir une équivalence avec « nationalisme », c’est sans doute une question de perception. Dans le cadre de mon univers, j’aurais pu créer une distinction positive/négative, européanisme étant plus modéré et culturel, européisme plus… nationaliste. Le débat interne du « est-on allé trop loin ? Quand la fédération européenne a-t-elle fait fausse route ? La fédération elle-même est-elle la fausse route ? » pourrait tirer avantage d’une telle nuance dans le vocabulaire, mais ça gâcherait tout l’intérêt du flou qui entoure ce mot étrange : Européisme. Je voulais qu’il porte en lui le positif et le négatif, le positif par ce qu’il pourrait offrir, le négatif par la mauvaise utilisation qui en est faite dans mon Europe dystopique.

Victor Wilem, député du Parlement Européen et premier président des Etats Unis d’Europe, est un européiste. Il croit en une unité européenne, des éléments culturel communs qui permettent de s’unir pour résister aux géants qui s’élèvent du Millenium Crash, et offrent à l’Europe un partenariat logique garantissant une certaine souveraineté européenne. On suit alors le schéma de « La lettre volée » et si l’on se contente de cette définition, l’auteur a raison : C’est un souverainisme européen, un nationalisme à l’échelle du continent. Cela dit, Victor Wilem est partisan d’une Europe fédérale, ce qui implique que les affaires impliquant des problèmes communs sont gérées à une échelle fédérale, mais où les régions européennes ont toute latitude concernant les problèmes internes. Maurice Galligart, son meilleur ami et soutien, est partisan d’une Europe fédérée, d’une intégration totale, où le rôle des régions est réduit à son strict minimum et où la plupart des problèmes sont réglé par un gouvernement central. Un Etat complet et souverain, au sens où l’entendrait un nationaliste. Et c’est sa succession à la présidence qui va orienter les EUE vers le désastre dû aux excès d’intégration.

L’univers de Pax Europæ contient donc deux visions de l’européisme, et celui défendu par Erwin est clairement celui de Victor Wilem. Un européisme en faveur d’une intégration dans des domaines de compétences communs qui respecte les individualités, un équilibre entre le fédéral et le régional. Mais ce souverainisme européen, capacité à faire front commun, unis dans l’adversité, est-il comparable stricto sensu à un nationalisme si un gouvernement central et souverain n’existe pas réellement, si le pouvoir est partagé entre un gouvernement fédéral et une trentaine de parlements régionaux ? On peut m’accuser de jouer sur les mots, mais il y a à mon sens une différence notable. Dans ce cas de figure, l’européisme est une sorte de souverainisme, certes, mais à deux vitesses : Un souverainisme européen qui protège la fédération des concurrents voisins et assure, de ce fait, la sauvegarde d’un certain souverainisme « national ». Paradoxal ? Pas vraiment.

J’ai dernièrement vertement critiqué le souverainisme ambiant, vous vous demandez peut-être pourquoi je prétends soudain le sauver par le fédéralisme. Le fait est que j’ai employé le terme « souverainisme » dans le sens qu’il a actuellement, à savoir nationalisme. Le souverainisme européen n’existe pas (encore), même si la politique de l’UE tente parfois de s’en rapprocher par des voies qui ne me plaisent guère. En revanche, lorsque j’évoque plus haut un « souverainisme à deux vitesses », ce n’est plus vraiment un nationalisme, ni au niveau fédéral, ni au niveau régional. C’est un souverainisme partagé, chacun dans son domaine de compétence, dans un respect mutuel garanti par une Constitution sous la surveillance d’un Conseil Constitutionnel élu par des chambres fédérale et régionale.

Naturellement, on peut débattre éternellement sur ces fameux « domaines de compétence », chaque pays pouvant naturellement s’occuper de tout par lui-même. Mais aujourd’hui, la France avec son industrie qui coule à pic ou la Grande Bretagne et son chômage cumulé à une soudaine absence de fond européens, pourraient-elles subvenir seules à tous leurs domaines de compétence sans, fatalement, vendre une partie de leur souveraineté à des investisseurs, étatiques ou non ? Qu’on le veuille ou non, la mondialisation est un fait, et la vapeur ne peut pas se renverser aussi facilement, à moins d’un écroulement total et simultané. En attendant cette apocalypse socio-économique, il faut faire avec. Alors si le choix qui se pose est avoir l’air souverain mais être soumis à d’autres entités – politiques ou économiques – ou partager ouvertement sa souveraineté dans les limites du fonctionnel avec des partenaires liés de façon égale, que préférons-nous ? La fédération, si elle implique un abandon d’un souverainisme national que nous appellerons « nationalisme », offre un genre moderne de souverainisme moins cloisonné, non-national, qu’on pourrait appeler « européisme ». C’est un système basé sur un respect des partenaires, des règles équitables entre les Régions, qui de fait ont un intérêt commun et fonctionnent comme des équipiers, et non des clients ou des investisseurs. C’est là que ce souverainisme européen se distingue du souverainisme national au sein d’une communauté européenne. Car abandonner tout souverainisme est hors de propos à l’heure actuel, le rêve de citoyen du monde étant encore par trop improbable. Le citoyen européen est à notre portée, et ceux qui prétendent qu’il est obsolète et que le fédéralisme mondial est l’avenir voient à mon sens trop gros, trop vite, et sans tirer les leçons des échecs d’intégrations actuelles ( la Crise de l’Euro, mais aussi le sur-place de l’ASEAN avec en 2006 le retour des « valeurs asiatiques » dans les débats, ou pire, le MERCOSUR et son ambitieux projet d’union politique, mort avant même d’avoir été un véritable fœtus ). Bref, le fédéralisme mondial est encore plus qu’utopique. L’Union Européenne est, en regardant bien, la seule union post-national de cette ampleur à accomplir un tel degré d’intégration, pacifiquement, avec un tel degré de réussite, et même si loin d’être un succès. L’Etat actuel de l’Union permet d’affirmer qu’une fédération européenne efficace et bienveillante est possible, tout autant que sa construction peut mener à plusieurs scénarios désastreux. L’éventualité d’un échec cuisant, je ne le nie pas. Mais le confédéralisme prôné par les eurosceptiques est à mon sens bien plus risqué et bancal encore, et le nationalisme va quant à lui droit dans le mur car l’isolationnisme qu’il revendique l’entraîne vers l’exact opposé de ce qu’il prétend apporter : La dépendance et la « petitesse » sur le plan économique et politique. Sur quoi est-il alors basé en réalité, puisque sur le plan économique, le raisonnement est bancal ? La bigoterie, bien souvent, la nostalgie, aussi, et cette fierté mal placée qui, comme le disait Coluche, fait du coq le seul oiseau qui continue de chanter les pieds dans la merde.

Ce drapeau pour une Confédération Européenne a été trouvé sur villepincom.net "République Solidaire" etc. Puisqu'on en est à évoquer les maladresses de communication, que dire de ce drapeau confédéré ? Le parallèle avec les US ne me gêne pas en lui-même, seulement le côté esclavage et autre joyeusetés raciales qui va avec le drapeau d'origine...

Pourquoi le confédéralisme n’est-il pas une bonne expression de cet « européisme » ? Parce qu’en voulant trop respecter le souverainisme à l’échelle régionale, il paralyse le souverainisme à l’échelle confédérale, a fortiori lorsque la confédération prend de l’ampleur. L’Union Européenne actuelle est aujourd’hui trop souvent bloquée parce qu’elle porte en elle les tares du confédéralisme, par exemple la règle de l’unanimité qui certes protèges les Etats individuellement mais, à 27 empêche tout progrès fluide et, paradoxalement, pousse certains dirigeants – nationaux faut-il le rappeler – à outrepasser cette sécurité (cf. Constitution Européenne et Traité de Lisbonne). On peut arguer que cela offre une sauvegarde de la démocratie et ainsi de suite, mais imaginez une règle de l’unanimité entre les régions françaises pour voter une loi ou une réforme, et vous comprendrez les limites du procédé. Voilà pourquoi nous avons un parlement qui vote les lois. La démocratie, c’est la loi de la majorité, pas de l’unanimité. CQFD.

La démocratie peut être préservée dans une fédération européenne dotée d’un Parlement Européen qui vote les lois, je dirais même bien plus que dans l’Union Européenne, et plus efficacement qu’une confédération européenne. Surtout à 27. C’est pourquoi, en fin de compte, je pourrais considérer « européanisme » plus proche de confédéral, un sentiment de lien et d’intérêt communs mais limités par une individualité politique marquée, et « européisme » plus proche de fédéral. Quant à la vision de Maurice Galligart d’une intégration totale, « européisme » ne devrait pas être employé, ni en fiction, ni dans la réalité, et quitte à suivre la mode de l’eurovocabulaire, je pense qu’euronationalisme ne serait pas malvenu. Car une fédération européenne ne signifie pas obligatoirement une nation européenne. Cela veut dire 27 nations européennes qui mettent leurs compétences en commun. C’est la fin de l’Etat-Nation. L’européisme, c’est la Fédération-Nations. Une troisième voie, qui comme on l’aura noté, est plurielle. Ce que la création de la France, par exemple, n’a finalement pas été.


Pour ceux qui seraient intéressés par une lecture courte et claire sur le fédéralisme et le confédéralisme, je recommande « Le fédéralisme en Europe » de Maurice Croisat chez Montchrestien Lextenso Editions, collection Clefs / Politique. Il ne s’agit pas d’un livre sur le fédéralisme européen mais du fédéralisme en Europe, traitant du principe de la fédération, son histoire et de ses applications passées et actuelles sur le vieux continent (et même en dehors), ainsi que de ses possibilités dans le cadre de l’UE, ainsi que de cette fameuse « fédéralisation à l’échelle mondiale ».

2 commentaires:

Alschien67 a dit…

Vous êtes des tarés à vouloir tué des identités nationales, à tué des peuples, et des pays à travers l'Europe, mais un jour vous verrez une nouvelle Europe des nations renaitra et là un patriotisme Français sera à nouveau majoritaire et primera la volonté du peuple de retrouver sa liberté et sa totale souveraineté. Vive la république Française et vive Marine !

Florent Lenhardt a dit…

Vous avez lu dans mon article que je souhaitais la mort des identités nationales, ou bien l'avez-vous imaginé en lisant simplement le titre de l'article ? J'imagine qu'il y avait trop de texte pour vous y plonger, autrement vous auriez peut-être évité de répondre à côté du sujet.

La version courte au cas où mes articles vous intéresseraient pour autre chose que m'insulter, c'est justement que l'européisme, et le fédéralisme européen, ne devrait pas être un simple nationalisme européen qui éradiquerait les différences nationales et régionales mais devrait permettre justement de les préserver derrière un bouclier fédéral solide.

Si vous êtes un peu au fait de ce que sont les identités nationales, vous êtes sans doute familier avec le concept de "Canadian +", par exemple, autrement dit le fait qu'au Canada l'identité nationale se construise sur le fait d'être Canadien - identitée recouvrant toute une variante de "+" aue sont les origines ethniques (pays d'immigrant oblige) ou locales (fédération oblige). La même formule peut très bien s'appliquer à l'Europe sans "tuer des peuples" et autres slogans du FN.

Je suis moi-même Franco-Allemand, j'ai vécu dans les deux pays, parle les deux langues et baigne dans les deux cultures. Je n'en chéris pas moins mes spécifités régionales - Forêt Noire d'un côté, Alsace de l'autre. Et vivant désormais en Finlande où je m'intègre à la culture en apprenant la langue et les coutumes, je n'en continue pas moins à faire mes bredala à Noel et à me faire envoyer mon spaeck et mon saucisson. Il y a une différence entre une Europe intégrée et une Europe "unique et indivisible".

Européen est mon identité qui recouvre tous mes "+", c'est ce qu'on appelle en un terme parapluie. Il n'y a pas d'identité culturelle unique, l'Europe sera toujours "European +". Si vous m'aviez lu au lieu de partir dans votre délire lepenéniste vous auriez également vu que je m'oppose à l'orientation actuelle de la construction europénne pour ces raisons, et que je lui oppose un fédéralisme dont vous ignorez visiblement les véritables tenants et aboutissants.

Renseignez-vous, documentez-vous(je pense avoir mis à disposition des mes visiteurs une quantité de références et de liens suffisante pour se faire une idée gnénérale), lisez mes articles, et venez débattre (ou m'insulter à nouveau si débattre est trop demander) pour ce que je dis et pense véritablement, pas pour ce que vous croyez savoir sur les fédéralistes sans rien y connaître.

Cela dit, merci de votre visite.

PS : Rappelez-vous quand vous irez voter que si l'on se retrouve dans une Union Europoéenne centré sur le pogngon et l'économie (Méthode Monnet) c'est justement parce que l'union politique et culturelle a été torpillée par ce fameux patriotisme francais que vous arborez fièrement - Et oui, je pense au projet de Défense Commune sabordé par De Gaulle. Si vous ne voyez pas les limites et les faiblesses d'un nationalisme borné, observez ses conséquences autour de vous aujourd'hui et pensez-y.