Je suis un peu pressé par le temps et l'organisation de mon déménagement en Finlande, mais je continue dans ma lancée de mise en ligne de textes à mon sens importants. Après Hugo et Churchill, voici un extrait de discours de Jean Monnet du 30 avril 1952, titrée "Une Europe Fédérée". Je ne partirai pas dans une grande analyse de l'extrait qui es assez clair et assez court, cependant, je tenais à illustrer par un exemple concret les ambitions clairement et ouvertement fédéralistes des Pères de l'Europe. On notera également la forte connotation politique ET militaire qui semble aller de paire avec l'union économique qui se forme. Les allusions à une armée européenne et une fédération essentielle à la survie du Monde Libre ont certes une saveur Guerre Froide toute particulière, mais à l'heure où le terrorisme est une affaire de tous les États Européens, la Défense Européenne est aujourd'hui plus que jamais de mise, et même cet aspect qui sonne vieillot à nos oreilles n'en reste pas moins, de ce fait, d'une extrême actualité.
Notons également la volonté affichée de planifier la réunifaction allemande, à un moment où le sujet n'est pas forcément pour plaire aux Allemand de l'Est : Staline vient alors de proposer une réunification créant une Allemagne "neutre et indépendante" entre les blocs, une zone tampon dont le destin tout tracé est de rester une friche économique et sociale, avec les conséquences que l'on peut imaginer. Ce que Monnet ne sait pas encore, c'est que moins d'un mois après son discours, après que la Convention de Bonn ait libéré la RFA de l'occupation alliée ( France, USA, Grande Bretagne), la RDA ira jusqu'à renforcer ses frontières et créer un no-man's land de démarcation. Dix ans plus tard, faute de rapprochement, et la Guerre Froide prenant de l'ampleur, le Mur sera érigé, et il faudra attendre le début des années 90 pour que cet aspect du programme de Monnet ne se réalise.
Par ailleurs, je pense mettre en ligne très bientôt une partie d'un autre discours de Monnet, au titre plus qu'évocateur : "Les Etats Unis d'Europe ont commencé". Ainsi, Jean Monnet perpétue-t-il ce titre d'EUE auquel Victor Hugo avait si ardemment aspiré.
« Nous nous trouvons à un moment opportun pour parler de la création de l'Europe. Nous allons sortir de la période des projets, des négociations et des textes ; dans quelques semaines, les premières institutions de l'Europe unie deviendront une réalité vivante. À ce moment décisif, comme il est naturel, nous rencontrons des difficultés : Elles sont les douleurs de l'enfantement qui accompagnent la naissance des États-Unis d'Europe.
Parce que les Américains en sont conscients, ils n'ont cessé de soutenir et d'encourager nos efforts pour réaliser l'unité de l'Europe. Je crois que c'est la première fois dans l'Histoire qu'un pays parvenu au degré de prépondérance qu'ont atteint les États-Unis apporte un soutien actif et essentiel à l'effort que font d'autres peuples pour se rassembler dans une communauté vigoureuse et libre.
Il est d'une importance universelle que l'Europe puisse vivre par ses propres moyens et dans la sécurité, qu'elle soit pacifique et en mesure de continuer à apporter sa grande contribution à la civilisation. Le chemin qui mène à tous ses objectifs passe par l'unification.
Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. Aussi longtemps que l'Europe restera morcelée, elle restera faible, et sera une source constante de conflits. À l'époque moderne, les conflits se généralisent inévitablement à l'ensemble du monde.
L'unification permettra à l'Europe d'intensifier le développement de ses ressources. Elle pourra ainsi, le moment venu, faire face aux besoins de ses habitants et prendre sa part dans les charges de la défense commune, sans avoir à vous demander de maintenir votre contribution.
L'unification de l'Europe a, pour la civilisation, une portée qui dépasse même la sécurité et la paix. L'Europe est à l'origine des progrès dont nous bénéficions tous et les Européens sont aujourd'hui capables d'apporter au développement de la civilisation, par leur esprit créateur, une contribution aussi grande que dans le passé. Mais pour permettre à cet esprit créateur de s'épanouir à nouveau, nous devons harmoniser nos institutions et notre économie avec l'époque moderne. C'est en unifiant l'Europe que nous y parviendrons. [...]
En même temps que nous poursuivrons ensemble notre action pour l'unification de l'Europe, nous continuerons notre effort pour réunir pacifiquement les Allemands de la République fédérale et ceux de l'Est. Il est essentiel d'effacer les frontières entre les nations européennes. [...]
L'unité qui satisfera les aspirations légitimes des Allemands sans les exposer, ainsi que le reste du monde, au recommencement d'un passé funeste, l'unité qui facilitera l'établissement d'une paix durable est l'unité au sein d'une Europe unie. [...]
Six pays européens ne se sont pas engagés dans la grande entreprise d'abattre les barrières qui les divisent pour dresser des barrières plus élevées contre le monde extérieur. Notre époque exige que nous unissions les Européens et que nous ne les maintenions pas séparés. Nous ne coalisons pas les États, nous unissons des hommes.
Rien n'est plus stérile que d'anticiper, dans le contexte du présent, des questions qui se poseront seulement dans l'avenir, alors que l'objet même de notre action est de transformer le contexte actuel. Si nous attendons, pour agir, que toutes les questions aient trouvé leur réponse, nous n'agirons jamais, nous n'atteindrons jamais la certitude attendue et nous serons entraînés par les événements que nous aurons renoncé à orienter.
Nous sommes résolus à agir. Nous sommes résolus à faire l'unité de l'Europe et à la faire rapidement. Avec le plan Schuman et avec l'armée européenne, nous avons posé les fondations sur lesquelles nous pourrons construire les États-Unis d'Europe, libres, vigoureux, pacifiques et prospères.»
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