Comme je me suis lancé dans une ptite relecture de Europæ afin de peaufiner certains détails, j'en profite pour glisser un extrait qui, après le passage en force du Traité de Lisbonne, me semble fort à propos. Il s'agit d'un discourt de Maurice Galligart, député luxembourgeois au Parlement Européen, adressé à l'hémicycle le lendemain du Millenium Crash. J'ai écris ce passage en 2006.
Le Président du Parlement, Josep Borrell Fontelles, patienta jusqu’au silence, réajusta ses lunettes et déclara :
-Tout d’abord je tiens à remercier chacun de vous d’être resté malgré les… évènements de ces dernières heures. Vous connaissez tous ces évènements, l’Europe subit une grave crise – le monde entier la subit. Il nous faudra réfléchir vite et efficacement pour sauver les meubles, pardonnez-moi l’expression. J’ai reçu de nombreuses propositions à mon cabinet, j’ai tenté d’en lire les plus productives et en ai tiré de premières conclusions. Inutile de préciser que le Conseil Européen est en réunion de crise… Cependant il semblerait que quelques chefs d’Etat aient décidé de… d’écourter cette réunion pour se concentrer sur leurs affaires locales. Vous saisissez j’en suis sûr les implications d’une telle réaction.
Les députés hochaient la tête, certains consternés, d’autre affichant des mines presque réjouies. Thompson semblait apprécier l’information avec satisfaction.
-Si le Conseil Européen faillit, le système faillit, reprit le Président. Et nous n’allons pas nous le permettre ! J’ai discuté avec certains membres du Conseil, ils sont d’accord pour confirmer que cette crise risque de disloquer les Institutions Européennes.
Galligart entendit avec stupeur une exclamation joyeuse d’un député danois. Thompson l’observa d’un visage étrange, moitié amusé, moitié perplexe.
-La plupart d’entre nous avons souhaité à un moment donné de notre vie… construire quelque chose, poursuivit-il en feignant n’avoir rien entendu. Construire une Europe forte, unie et pacifique. Nous avons parfois approché la réussite, nous nous en sommes souvent éloignés, mais aujourd’hui nous devons affronter un choc tel que l’Union Européenne n’en a jamais subie ! Cette menace poussera certains Européens à vouloir s’isoler chacun pour soi et Dieu pour tous, ce serait la fin de décades d’efforts et l’échec de plusieurs générations, en vain. Devant le désastre annoncé, j’ai porté une attention toute particulière à une proposition novatrice et tout à fait officielle, émanant d’un groupe de députés de tous partis, représenté par le député luxembourgeois Maurice Galligart. Je lui laisse la parole pour nous exposer sa requête. Je vous demande de l’écouter avec la plus grande des attentions.
Pour Galligart une chape de plomb s’abattit sur ses épaules. Le moment était crucial, il devait se montrer ferme, convaincant et réaliste. Les mots du Président Fontelles résonnaient dans sa tête, il tenait peut-être le destin de l’Europe entre ses mains sous la forme d’une liasse de papiers. Victor lui avait soufflé avant de refermer la porte de son bureau que parfois les grandes choses paraissent faciles, des choses faciles paraissent infaisables… mais que dans les deux cas le premier pas était le plus ardu. Un message simple, mais qui revenait en boucle alors qu’il se levait et rejoignait le pupitre d’orateur. Quelques marches, le Président qui lui laissait le champ libre… et enfin la vision d’un hémicycle suspendu à ses lèvres. Il compta mentalement jusqu’à trois et commença à parler.
-Députés européens, chers collègues… Comme il a été dit l’Union Européenne fonctionnait jusque là en se basant sur le Conseil. J’ai toujours plaidé pour un rééquilibrage des pouvoirs en renforçant celui du Parlement, ce à quoi il m’a toujours été répondu : « Le système marche très bien comme ça, pourquoi en changer ». A quoi nous a conduit cette politique réactionnaire ? A un blocage complet de nos institutions ! La machine européenne est grippée depuis des années, tous l’ont vu, mais rien ne nous poussait réellement à aller au-delà. Bien entendu, des changements auraient été possibles, je pense à la proposition d’une Constitution pour l’Europe, mais pourquoi les Européens l’ont-ils refusée ? Parce qu’ils n’avaient pas confiance ! Ne trouvez-vous pas que c’est le signe le plus évident de l’échec de notre politique ? Nous n’avons pas su convaincre le peuple parce que nous n’avions jamais réussi à engendrer de réels changements ! Alors oui, nous avons connu de multiples élargissements de l’Union, mais est-ce que cela peut réellement passer pour un progrès politique, une innovation au service du peuple européen ? Non ! Et parce le peuple savait que l’Union Européenne fonctionnait à vide, ils ont eu peur ! Peur de notre incompétence à nous adapter, à évoluer, à progresser ! La base était un bloc d’argile et ils ne souhaitaient pas ajouter un autre bloc de pierre de taille à un édifice qui se tasse année après année.
« J’imagine que certains d’entre vous interprètent mes paroles comme opposés à l’Europe, le discours d’un eurosceptique amer et désabusé. Il n’en est rien ! J’aime l’Europe, et c’est pour cela que j’exergue mon ressentiment face à une politique réductrice et dépassée. Aujourd’hui, l’Europe s’effrite, aujourd’hui l’Europe s’écroule. Vous, moi, tous députés européens nous sommes ici, dans cet hémicycle, peut-être pour la dernière fois dans l’histoire de l’Union Européenne. Pourquoi ? Parce que le Conseil Européen sur lequel le semblant d’union politique était fondé, se disloque, parce que des chefs d’Etat préfèrent s’occuper de leur propre pays plutôt que de se soucier de l’intérêt commun, et vous savez ce que j’en pense ? Je les comprend ! Dans l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, pour se sortir de la crise le meilleur moyen est de faire cavalier seul. Ils sont élus par leur peuple pour leur peuple, et ils cherchent logiquement là où se trouve leur intérêt. Le fait est là, malheureusement. La question est : comment réagir désormais, en plein Krach et Crise Economique ? Deux choix s’offrent à nous. Celui déjà adopté par certains présidents européens, à savoir laisser l’Union se désagréger et se détourner de la communauté pour se renfermer dans ses frontières. C’est une option valable autant qu’une autre. Le second choix est de prendre nos tripes à deux mains et à tenter le tout pour le tout ! Qu’entend-je par là ? J’entends redonner aux Européens le moyen de travailler ensemble et de subir la crise ensemble, s’entraider mutuellement, partager les peines pour savourer dans un futur plus ou moins proche un renouveau qui aura mérité tous ces efforts ! Le savourer ensemble, chers collègues européens. Il faut transcender l’Europe, quitte à nous aventurer dans un chemin que nous n’envisagions pas il y a encore quelques semaines !
« Ce qui relie les Européens entre eux sont les Européens eux-même, de par leur condition, leur être commun, leur Histoire partagée, leur volonté de paix après tant de siècles troublés ! Ce n’est pas la relation entre vingt-cinq chefs d’Etat, comme un petit club privé et renfermé, qui doit solidariser les peuples, mais leur vie communautaire, et cela doit nous pousser à reconsidérer le rôle des représentants du pouvoir européen. Le Conseil s’est juché trop éloigné des gens qu’il représente pour avoir leur confiance et comprendre les vrais enjeux de leur vie de tous les jours. Nous, nous sommes députés, nous sommes 732 représentants du peuple dans cet hémicycle ! Notre système de groupe permet à un pays unique d’exprimer tous les bords politiques représentant les volontés de ses habitants, et non un président qui, au fond, reste une seule voix unique pour représenter son pays ! Le Parlement est la vraie voix du peuple, la voix plurielle mais qui s’accorde en ce lieu pour gérer le destin de notre continent ! Ce message je l’ai clamé depuis mon élection, et je le clame à nouveau, car je suis persuadé que donner le pouvoir au Parlement Européen c’est construire une Europe politiquement plus forte, plus endurante, en un mot, plus solide pour encaisser cette crise économique d’une si grande ampleur !
« Je propose donc une réforme de fond des Institutions Européennes, car comme l’a dit monsieur le Président, le Conseil a failli, un échec ultime après une succession de reculades. Mais aujourd’hui nous ne pouvons plus nous permettre de laisser les choses se tasser encore et encore, car si nous ne parvenons pas à sortir de cette crise, c’est le crépuscule pour nous tous, un billet sans retour vers un monde morcelé et prompt à s’enflammer. Nous pouvons étouffer dans l’œuf les conflits potentiels, mieux ! Nous pouvons nous en sortir, mais il nous faut le faire ensemble ! Et il faut le faire vite ! A l’heure où je délivre mon discours nous savons tous que les grandes villes européennes subissent de violentes émeutes et mouvements de panique. Nous sommes au bord du précipice, chers collègues européens, et je vous en conjure, réagissez maintenant, où nous le regretterons jusqu’à la fin de nos jours. Que dirons-nous à nos enfants ? « Je suis rentré à la maison, j’ai fait un stock de nourriture et j’ai attendu que ça se passe » ou bien « J’ai exacerbé nos idéaux pour tenter – ne serait-ce que tenter, mes amis – d’empêcher le pire et d’en profiter pour progresser plutôt que reculer comme nous l’avons toujours fait ! » Réfléchissez-y, imaginez notre avenir si nous dissolvions l’Union Européenne. Imaginez l’obscurité qui nous guette, prête à ressurgir des limbes de notre passé nébuleux.
« Et lorsque vous aurez assez réfléchi, exprimez-vous, dites-moi si vous croyez encore à l’Europe ou si à vos yeux elle est déjà morte et enterrée. J’ose espérer que les centaines de députés européens que vous êtes – que nous sommes – ont encore dans leur cœur les idéaux qui les ont poussé à participer aux débats de cet hémicycle, et tout simplement qu’ils ont encore foi en l’Union Européenne et tout ce qu’elle a à nous apporter. Merci. »
EDIT : MAJ : Europæ révisé a remplacé l'ancienne version, et donc dispo en ligne dans la partie site web.
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