jeudi 17 mai 2012

Des Quatre Saisons de la narration, ou pourquoi Pax Europæ n’a pas d’été ?


Quand on écrit une histoire, il y a naturellement des tas et des tas d’approches différentes quant à la narration, et je ne parle pas ici du point de vue. Je vois les événements et les contextes de l’histoire racontée comme une succession de saisons qui se répète et se perpétue comme le cycle annuel, et j’imagine que je ne suis pas le seul. Après, chaque auteur choisit la saison dans laquelle il souhaite commencer, quelle(s) saison(s) accueilleront l’évolution de l’intrigue et quelle saison en verra le dénouement. Ce choix en dit souvent long sur la mentalité de l’auteur, sur ce qu’il veut exprimer et sa façon d’appréhender son histoire ou son univers.

Un exemple plan-plan avant de placer Pax Europæ dans ce contexte saisonnier est le classique procédé du Rise & Fall. Dans ce cas-là, on commence au printemps, quand la situation n’est pas radieuse mais tend à s’améliorer, les personnages prennent de l’assurance, enchaînent les succès, pour arriver à l’été, le climax, le point culminant, l’âge d’or, bref, Epic Win. Malheureusement, l’automne ne tarde pas à poindre le bout de son nez, de nouvelles difficultés entravent le bonheur et la réussite de nos persos, et cette descente aux enfers où les arbres se meurent et le froid souffle sur leur vie les conduis au drama final, l’hiver de retour, et souvent, il faut le dire, la mort. Il arrive même d’avoir quelques indices sur le prochain printemps qui, fatalement, finira par arriver, l’ouverture sur l’espoir tout ça, mais c’est facultatif. Tout dépend du message de l’histoire.


Mais ce plan-plan janvier-décembre n’est pas une fatalité, loin de là. Et c’est ce que j’apprécie dans les approches des auteurs. Certains choix sont plus parlants que les textes eux-mêmes (ça marche naturellement aussi pour les autres supports narratifs). Par exemple, commencer en automne ou en hiver quand on veut démarrer dans la mouise – Un Nouvel Espoir/ L’Empire Contre-Attaque – et finir plutôt au printemps – l’espoir arrive mais rien n’est encore acquis – ou en été, le super happy-end, le Retour du Jedi. Commencer en été plutôt qu’au printemps quand le Rise de départ, on s’en moque, et que l’heure de gloire n’est qu’un point de départ pour montrer le Fall, le processus destruction et de renouveau . On est donc cette fois dans le « Glory & Fall » (& Rise Again ?), la logique de la Prélogie, pour continuer dans le même univers. Certains auteurs choisiront de traiter plusieurs années et donc décriront de multiples étés et de multiples hivers. Tous ces choix dénotent de choix narratifs qui ne sont pas ceux du style d’écriture ou du point de vue, mais sont également important. Il est d’ailleurs intéressant en tant qu’auteur de se poser soi-même la question « pourquoi avoir traité mon histoire dans cet ordre de saisons ? ». Je me le suis demandé car lorsque j’ai commencé Pax Europæ, je n’y avais pas vraiment réfléchis.


Bon évidemment, encore faut-il définir été, hiver, automne, printemps... Question de point de vue ^^
L’octalogie centrale de Pax Europæ, Carnet de Guerre, commence en automne. L’été est déjà passé, l’âge d’or des États Unis d’Europe est derrière eux, et la société européenne commence sérieusement à se décomposer. La guerre va plonger la fédération dans un hiver tenace – un hiver nucléaire – qui la mènera, au final, à un printemps annonciateur de renouveau et d’espoir pour l’Europe et le monde. L’été est absent.

Pourquoi l’été est-il absent ? Est-ce que j’ai un problème avec les grosses chaleurs, les textes positifs et les happy-end ou happy-start ? Euh… en fait oui. Mais je ne pense pas que ce soit la véritable raison. L’été initial je n’en ai pas besoin, il est évoqué comme un paradis perdu et devient rapidement l’objectif des personnages principaux. Retrouver la splendeur originelle, l’esprit humaniste et libre des E.U.E. des premiers jours est définitivement l’enjeu des textes, et en tant que tel ce souvenir doit rester diffus dans l’octalogie. Même la préquelle Europæ n’est finalement qu’un hiver-printemps, on finit sur un grand espoir, l’été commence tout juste après le point final. Mais on ne le voit pas, le tome 1 de Carnet de Guerre reprend les choses en automne. L'Âge d’Or reste de l’ordre de la légende urbaine, même s’il est palpable avant et après. Quant à l’été final, je ne souhaite pas le montrer pour la simple et bonne raison qu’assurer du succès indubitable de la quête des persos principaux serait oublier que le bonheur qu’ils ont cherché à atteindre ne se défend qu’au prix d’un combat perpétuel – fût-il métaphorique. La liberté et la paix ne sont jamais dues, et ils ont appris cette leçon au cours des huit derniers tomes après que l’Europe se soit reposée sur ses lauriers fédéraux. Le final doit donc contenir de l’espoir, mais pas abolir l’incertitude que le futur portera toujours en son sein (raison pour laquelle la scène finale de Terminator 2 Version Longue saborde complètement le film, nous montrant que le Jugement Dernier a été évité et que tout ira pour le mieux à jamais en empêchant un seul désastre possible, quand la morale du film était : Pas de destin mais ce que nous faisons. Le final classique du film avec la route qui défile dans le noir sans que l’on ne puisse voir où nos héros vont est vraiment beaucoup, beaucoup mieux).

Ce qui m’a également frappé en me posant la question fut à quel point le temps décris dans les textes a fini par exprimer cette structure saisonnière, ou soleil, pluie et neige, en étant utilisés initialement à d’autres fins subliminales, ont globalement suivi ce schéma malgré-moi (notamment dans les tomes 7 et 8 et la préquelle) et renforcé cette impression. Même si la météo est déjà est déjà bien merdique dans les deux premiers tomes, cela ne cesse d’empirer, suivant les lieux que mes personnages visitent, avec inondations, tempêtes, neige, etc. Le renouveau des deux derniers tomes coïncide avec de multiples nouvelles locations géographiques beaucoup plus ensoleillées, justifiant le retour du soleil et de la lumière – avec la menace perpétuelle de la prolongation d’un hiver aussi concret que métaphorique.

Pax Europæ est donc dans le Fall & Rise, sans la période de gloire initiale ni celle qu’on espère avoir atteinte, qui se concentre sur un automne rude et un hiver difficile qui bouleverse suffisamment les choses pour permettre d’accueillir un printemps avec enthousiasme, même si au final rien n’est gagné. C’est un choix inconscient, et il en vaut d’autres, n’importe quel saison de départ et d’arrivée est possible, les combinaisons nombreuses…

Et vous, auteurs qui passez peut-être par ce blog, y réfléchissez-vous quand vous vous lancez dans un récit ? Avez-vous une préférence pour une saison particulière ?

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