Après l’expérience Aachen, je m’étais lance, pratiquement dans la foulée, dans une lecture qui promettait d’être similaire, à savoir United States of Europe, un roman de Ken Jack publié en 2011 et ayant pour thème, sans rire, les États Unis d’Europe. Plusieurs éléments du résumé laissaient à penser qu’il s’agirait probablement d’un Aachen 2, simplement plus moderne et débarrassé de ses anachronismes, avec une touche de guerre moderne pour respecter le Zeitgeist. Que nenni !
Alors d’entrée de jeu, si « Aachen » et « USE » me semblent très différents, rappelons les similarités par un résumé concis : Lorsque la Grande Bretagne décide de sortir des récents États Unis d’Europe, déclarés « Uns et indivisibles » dans le Traité de Berlin qui les a fondés, le gouvernement Européen décide de réagir par la force en renversant le Premier Ministre et occupant le sol britannique avec des troupes européennes. Une résistance s’organise alors, libère le Premier Ministre et organise le retour au pouvoir du Roi d’Angleterre. Devant la guerre civile qui se profile sur l’île, les discordes renaissent et une nouvelle guerre européenne commence…
Voilà qui a renforcé ma volonté de lire le livre malgré The Aachen Memorandum, et j’ai bien eu peur dans les premières pages de revoir arriver le glorieux roi d’Angleterre pompeux, les méchants Allemands et tout le tintoin. Mais rassurez-vous, Ken Jack joue habilement et après une introduction qui accrochera les eurosceptiques les plus convaincus, il débute une astucieuse alternance de points de vue qui manquait cruellement au roman de Andrew Roberts. On verra notamment les motivations profondes du président des États Unis d’Europe, Matthias Weurmann. Ce-dernier a espéré puis vu la Chute du Mur, et c’est dans un pays coupé en deux qu’il a forgé son désir d’unité pour la paix, pour enfin la projeter à l’échelle du continent. Ses intentions sont nobles, son parcours classique est un bon exemple de ce qui pousse beaucoup d’Allemands aujourd’hui à être pour une plus grande intégration. Bref, on est loin du Bureau Berlin-Bruxelles. Seulement, comme beaucoup de gens qui bâtissent un projet durant des années et des années puis parviennent à le concrétiser, difficile d’admettre qu’on a pu se tromper ou du moins ne pas avoir raison sur tout. Et difficile de faire marche arrière. Weurmann va s’enfermer dans son rêve de paix dans l’unité en dépit des réalités, provoquant une rupture qui à son tour entraînera des décisions regrettables, et la guerre.
Face à lui, son vieil ami le Premier Ministre. Et je dis Premier Ministre car il faut attendre l’avant dernier chapitre pour découvrir son… prénom, John. Il est donc nommé John le Premier Ministre. On ne saura jamais son nom de famille, mais on aura un aperçu de sa vision de l’Europe. Dès son élection, il lance un référendum pour la sortie des EUE, et le peuple vote massivement OUI, en conséquence de quoi le PM publie une « note d’indépendance » qui va provoquer la colère, frustration et déception de Weurmann, et la mise en péril de la fédération fondée sur le fameux « un et indivisible », les EUE cherchant dans ce livre à calquer très clairement leur modèle sur les USA. Toutefois, contrairement à tous les personnages d’Aachen, il n’est pas contre une certaine union européenne, mais refuse l’excès d’intégration, souhaitant revenir à une Communauté Européenne des États. Il y a toute une réflexion sur les avantages et besoins d’une Europe unie et les dangers de craintes concernant cette intégration totale. C’est vraiment intéressant de lire un eurosceptique se mettre dans la peau des fédéralistes et leur accorder du crédit tout en créant un véritable débat d’idées, malgré la petite taille du livre (240 pages environ). Quand Roberts défendait le retour aux États Nations Indépendants, Jack plaide pour une Europe unie des États, l’objectif étant plus ou moins de revenir à la CE. Plus de nuances, plus de points de vue, et ça, c’est fichtrement appréciable !
Toutefois, il y a une grosse différence entre « USE » et « Aachen », une différence qui rapproche le livre de Ken Jack de Pax Europæ : L’aspect militaire. Le conflit civil et européen qui va secouer le Royaume Uni va nous faire glisser par moment vers le récit de guerre, avec quelques combats et des séquences espionnage/infiltration. Cela dit, ça reste léger, le récit se focalisant sur les dirigeants et ceux qui prennent les décisions, peu sur les hommes de terrain, pour rester majoritairement un roman de politique fiction. On appréciera toutefois que l’auteur prenne la peine de revenir sur les dangers de guerre entre Européens (outre l’indémodable « la guerre, c’est mal »), et j’ai particulièrement apprécié ses réflexions sur le risque existant toujours, mais en proposant des alliances et rapprochements totalement inédits car tenant compte des 70 ans d’évolutions des mentalités et des opinions. C’était bien joué !
Mon seul regret concerne le style, qui s’il n’est pas mauvais, n’est pas non plus mirobolant. L’histoire est prenante mais la narration reste souvent assez plan-plan, ne prend guère de risque et les retournements de situation sont malheureusement trop souvent prévisibles. Restent des personnages intéressants, à défaut d’être réellement charismatiques, et des scènes vraiment sympathiques, comme le PM et le Roi s’infiltrant jusqu’à Bruxelles sur un bateau de pêche puis en taxi pour plaider leur cause devant la Commission et le conseil des Ministres. Balls of Steel.
Mais surtout, c’est le respect mutuel des personnages archétypes incarnant ces différents visions de l’Europe que j’ai adoré, et le fait qu’en fin de compte, les dissensions, aussi brutales qu’elles puissent être, peuvent toujours être dépassées pourvu qu’on fasse preuve d’un peu de bonne volonté et de beaucoup de réflexion. Cela reste clairement un roman eurosceptique ( et non europhobe comme Roberts ), mais il est ouvert aux idées, nuancé et argumenté de bien meilleure façon que Aachen. Les arguments de Weurmann ou de « John PM » sont souvent à la fois antinomiques et justifiés. De quoi alimenter les propres réflexions du lecteur et un éventuel débat de façon ludique et non rébarbative. Je le recommande donc, sachant qu’il n’est pas cher. Seul bémol, il n’existe qu’en anglais pour l’instant. Publié en version numérique uniquement lors de sa sortie, amazon.com propose une version imprimée à la demande (c’est l’édition que je possède), qui bien que basique est d’une qualité satisfaisante – j’entends par là que la reliure a très bien résisté à la lecture, tout comme la couverture glacée.
Vous noterez que je ne vais pas trop dans le détail pour cet ouvrage, et c’est bien parce que je souhaite ne pas gâcher une éventuelle lecture en révélant tous les détails intéressants, et il y en a, notamment autour des thématiques de l’opportunisme politique, du nationalisme bête et méchant ou du diviser pour mieux régner en Ecosse… mais je n’en dis pas plus ! Lu et définitivement approuvé.
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