mercredi 30 mars 2011

Texte Inédit : Joyeux Anniversaire

Afin de célébrer la naissance du personnage principal de la tétralogie Carnet de Guerre, celui avec qui tout a commencé il y a de cela neuf ans bientôt, voici un petit texte écris spécialement pour l'occasion. Il se déroule entre les tomes 2 Euronet et 3 Apostasie. Souvenez-vous, dans l'épilogue du tome 2 nous laissions les hommes du Bataillon Furie à Oslo, début mars 2034, alors que les Russes approchaient dangereusement....





Joyeux Anniversaire


Oslo. 27 mars 2034.

La sirène les avait tirés du lit au petit matin. Les soldats du E-01 croyaient pouvoir bénéficier de quelques jours de repos lorsque des unités du tout nouveau Bataillon Centaure avaient débarqué avec des Furies d’Assaut flambant neuves et un approvisionnement en munitions à faire pâlir les statistiques de l’opération Furie. L’opération Furie, celle qui avait tout déclenché. Aujourd’hui, plusieurs mois après l’entrée des troupes européennes en Slavie, l’Armia était aux portes d’Oslo, siège du Haut Commandement Suprême de l’Eurocorps. Les Etats Unis d’Europe avaient déjà perdu un symbole avec Saint-Pétersbourg, mais la menace était désormais bien plus grave, et les conséquences d’un nouvel échec… simplement désastreuses. Le E-03 Centaure avait été créé en quelques semaines dans un seul et unique but : Protéger Oslo. Le Bataillon Furie pensait pouvoir ainsi se reposer après des mois de campagne harassante. Les Russes ne l’entendaient pas de cette oreille.

–Jamais ils nous foutront la paix, les Russkofs ! jura Cyril Engström en resserrant brusquement la mentonnière de son casque.

–Ils t’ont laissé ton dimanche, philosopha Grégory Mertti, les yeux pétillants de malice. Tu voudrais pas qu’ils capitulent, ce serait trop facile, et t’es toujours pas monté en grade !

–T’as raison, c’est trop tôt.

Le transport de troupes blindé les secouait alors qu’ils fonçaient quelque part dans la banlieue d’Oslo. Les hommes ne savaient pas exactement où ils se déploieraient, les Russes attaquaient toujours de nouveaux points d’entrée, comme pour tester la solidité du verrou européen. Greg se lassait de ce petit jeu après seulement deux semaines de ce harcèlement quasi incessant. Il jeta un œil à ses camarades dans l’habitacle du VAB et fit un geste en direction de Konrad Wilhelm qui faisait jouer une pièce de deux euros entre ses doigts.

–T’as pas peur de le perdre, ton fétiche ?

–J’ai encore plus peur de partir sans.

–Très utile au combat, tu me diras.

–C’est mon porte-bonheur, rétorqua Konrad presque vexé. J’aime pas qu’on se moque de mon porte-bonheur !

Ses camarades ricanèrent nerveusement. On commençait à entendre des coups sourds et de moins en moins lointains. L’artillerie russe, peut-être des chars, des hélicoptères Baer ou… pire. La tension monta d’un cran et le silence se fit. Seuls Gaël Vanhammer et Christophe Oegler échangeaient quelques mots, la mine grave, mais le rugissement du moteur et de la traction les rendaient inaudibles au reste du groupe. Omar Tarik tiqua comme à chaque fois qu’il recevait une communication dans son casque.

–OK, les gars, on se tient prêt, dit-il en se levant, laissant son Famas derrière lui. C’est moi qui m’y colle.

Omar se dirigea vers le côté cabine et ouvrit la trappe au-dessus de sa tête pour prendre la place de tireur derrière la mitrailleuse lourde montée sur la tourelle. Dès que sa tête émergea de l’ouverture il sentit le froid intense figer son visage et mordre ses lèvres. Il ne supportait toujours pas cette désagréable sensation dans les narines alors que l’air glacial semblait geler le moindre cheveux, le moindre poil. Il remonta le col chauffant de la veste hiver de son uniforme, enfila ses gants et agrippa la mitrailleuse, ses yeux cherchant déjà une cible à l’horizon. Ils n’avait encore jamais vu cette partie de la région, mais sous cette épaisseur de glace et de neige, tout se ressemblait. Le VAB avait des chaînes spéciales et peinait pourtant à fendre la masse désormais. Ce fut cette impression de jouer les brise-glace qui fit réaliser à Tarik qu’ils étaient le blindé de tête de cette colonne.

–Où sont les chars ? hurla-t-il dans son micro pour se faire entendre.

–Déjà sur place, nous rejoignons les hommes du Centaure, répondit la voix assurée de son lieutenant.

Omar plissa les yeux et abaissa ses lunettes de vision améliorée. Il vit alors ce que la luminosité de la neige lui avait masqué : Les formes lointaines de formations de combat. Mais pas de colonnes de fumée.

–Erwin, j’entends des tirs mais je vois rien ! s’étonna-t-il tout haut.

–Tu regardes dans la mauvaise direction, Omar, le réprimanda Erwin Helm d’une voix amusée.

Le jeune Européen regarda autour de lui et constata que les combats semblaient avoir lieu plus à l’Est. Franchement plus à l’Est. Il comprit alors qu’ils ne seraient certainement qu’un soutien et que le Centaure s’occuperait réellement du gros du travail. Il ricana en se disant que ça les changerait du Bataillon Pégase.

–Pas de baby-sitting aujourd’hui, alors ?

–Il semblerait que non ! Maintenant concentres-toi sur le ciel, on sait jamais ce qui peut nous tomber dessus.



Les transports européens arrivèrent finalement dans un camp préfabriqué que le Centaure avait lourdement renforcé et aménagé en véritable forteresse. Des batteries de DCA dressées vers le ciel se tenaient prêtes à strier les cieux d’un blanc laiteux de leur stries mortelles, d’énormes plots de béton ralentiraient la progressions des blindés russes conventionnels, les laissant à la merci des canons antichars et des Grangers Furie que les sentinelles arboraient du haut de leurs miradors. Ces-derniers avaient été améliorés par des plaques de Kalanium récupérées sur des épaves de Furies et de Miest, offrant une bien meilleure protection que ce qu’avaient eu sous la main les vétérans du Mur.

Alors que les portes arrières s’ouvraient simultanément et que les fantassins descendaient promptement de leurs VAB, un groupe de gradés du Bataillon Centaure vint accueillir le lieutenant Helm avec un salut terriblement raide. Cyril ricana en voyant le regard rond de ces hommes devant le héros de Lviv et, à quelques pas en retrait, se permit une pose avantageuse avec son Famas. Greg le remarqua aussitôt et leva les yeux au ciel avec un soupir.

–Lieutenant Helm ! C’est un honneur de…

Konrad Wilhelm étouffa un bâillement. C’était toujours la même chose quand le Bataillon Furie débarquait quelque part. Au début, il puisait dans la flatterie un certain réconfort, mais la force de l’habitude n’en tirait plus qu’un ennui poli. Il refusa d’un mouvement discret de son visage rond et jovial la cigarette que lui proposait son collègue Yoann Kreel. Les deux brancardiers s’étaient beaucoup rapprochés ces derniers temps – le travail en équipe oblige, évidemment, mais les difficultés qu’éprouvait Yoann à s’intégrer avaient poussé Konrad à faire d’autant plus d’efforts. Yoann était arrivé tardivement, quand les effectifs avaient commencé à se réduire face au rouleau compresseur russe. Quand Konrad avait fait comprendre à Erwin que s’il voulait sauver plus de blessé, il lui faudrait plus de médics compétents, le lieutenant avait eu un de ses petits sourires mystérieux dont il avait le secret avant de répondre qu’il avait peut-être une petite idée. Quatre jours plus tard, Kreel était là avec son paquetage, accueilli par un regard torve de Cyril Engström. Konrad en ignorait la raison, et s’en moquait éperdument. Pour lui, Yoann était un bon élément, un bon camarade, et au final, un ami.

–Tu devrais arrêter de fumer, ça coûte moins cher et tu vis plus longtemps.

–T’es un des mieux placés dans ce bataillon pour savoir que le cancer est statistiquement la menace la moins importante qui pèse sur ma vie en ce moment, rétorqua Kreel en tirant sur sa cigarette.

–Demande à Joffrey ce qu’il en pense.

–Joffrey est plus un pilote qu’un toubib, maintenant.

Une main gantée lui mit une petit claque derrière le casque, le faisant sursauter. Joffrey Fagotier se planta à leurs côtés, le regard perdu dans l’immensité blanche qui les enveloppait de toutes parts. Puis, sans rien dire, il repartit.

Plus loin, Gaël et Christophe inspectaient avec une grande curiosité une batterie antichar à double canon qui, si elle ne paraissait pas très imposante, ferait ils le savaient des dégâts considérables. Un sergent du Centaure leur expliquait avec moult détails techniques comment il avait couplé deux canons standards pour augmenter la cadence de tir de la batterie et permettre de mettre en pièce un Bizarroïde. Quand on avait de la chance.

–Et vous avez souvent de la chance ? demanda Vanhammer, le sourcil sceptique.

Le sergent, un jeune homme à la peau basanée, lui renvoya un sourire sardonique.

–Je suis toujours là, non ?



Erwin donna ses ordres et les hommes rejoignirent leurs postes, essentiellement des tourelles d’observations et des canons à inspecter en cas d’attaque. Le froid mordant l’avait poussé à faire trois équipes en roulement, et Cyril avait eu le droit de rester à l’intérieur pour le premier tour. Ses prothèses supportaient très mal les températures glaciales, ou pour être plus exact lui procuraient une douleur intolérable. Erwin hésitait même à l’exposer, mais son ami refusait de rester en arrière pour deux bouts de plastique. Lorsqu’il avait demandé à Joffrey son avis en qualité de médecin, tentant une approche courtoise dans une période où les deux hommes ne s’entendaient pas, Fagotier lui avait répondu laconiquement : « C’est vous le lieutenant, mon lieutenant ». Helm n’avait que peu goûté à la plaisanterie.

Cyril se reprochait un peu d’avoir été l’huile jetée sur le feu de leur discorde et tentait par-dessus tout de faire oublier son handicap. Greg de son côté faisait son possible pour remonter le moral de son ami, mais cette tâche s’avérait de plus en plus difficile au fil des semaines. Bien sûr, Engström ne se privait pas de ses facéties habituelles et n’hésitait pas de temps à autre à mettre les pieds dans le plat avec un sourire de garnement, mais derrière cette façade au sourire en coin, Greg savait que Cyril cachait une profonde douleur qui n’était pas seulement physique. Des coups d’œil surpris à la volée et ses postures sans équivoque lorsqu’il s’isolait dans l’ombre l’inquiétait de plus en plus.

–Tu devrais demander une permission, lâcha Mertti alors qu’ils nettoyaient tous deux leur Famas dans un des blocs préfabriqués.

Cyril releva les yeux de son arme et le toisa gravement.

–Tout le monde n’a pas une Sidonie à rejoindre sur une plage au soleil.

Etait-ce un reproche ? Grégory décida de passer outre.

–Tu dois bien avoir envie de revoir ton chez-toi ?

–Tu sais, à ce rythme la Région Danoise je la reverrai bientôt de toute façon.

La sentence fut comme un pavé fracassant la glace d’un lac gelé. Oui, les Russes y étaient presque. La Région Finlandaise se battait comme une lionne, pratiquement encerclée, mais lorsqu’elle tomberait – et c’était presque inévitable – la Région Danoise serait la prochaine sur la liste. Greg s’imagina combattre en Région Italienne, défendant Barletta contre les Arabes Unis… Mais cette fois il s’agissait des Russes. Et là, tout espoir de les contenir durablement s’envolait. Cyril défendrait Copenhague en sachant la ville condamnée. Cette seule idée lui tira un frisson d’effroi.

–On peut encore gagner la guerre, se mentit-il à lui-même.

–Ah ! Pour ça faudrait qu’on arrête de reculer et de s’enterrer ! exulta Engström, la voix pleine de rage. Pour le moment on se contente de mettre un pansement sur une fracture ouverte ! Forcément on arrêta pas l’hémorragie ! Berlin se voile la face en croyant que sa supériorité technologique lui assurera la victoire, mais sans motivation ça sert à que dalle ! Et les Russes sont autrement plus motivés que nous…



Les autres conversations s’étaient tues et beaucoup fixaient Cyril avec des regards interdits. Mais il n’en avait cure et retourna à l’entretien de son Famas avec un mutisme communicatif, car la plupart de ses camarades l’imitèrent et le silence s’installa. Jusqu’à ce que Greg lève soudain la tête, comme frappé par la foudre.

–Hey, on est quel jour aujourd’hui ?

–Lundi, répondit Cyril avec un soupir.

–Lundi combien ?

–Le 27 mars… Merde ! Quels cons !

–On a encore oublié, se morigéna Greg en se frappant le front.

Cyril acheva de remonter son Famas et y introduisit un chargeur plein. Ses cheveux blonds avaient bien poussé, plus que ne l’autorisait le règlement. Son regard d’un vert profond se posa gravement sur son vieux camarade.

–Il n’est pas trop tard.

La sirène d’alerte se mit à mugir sa plainte terrifiante, faisant bondir les soldats de leurs bancs rudimentaires. Alors que tous enfilaient leurs plastrons et les vestes d’hivers, chargeaient leurs armes et mettaient leur casque, Greg et Cyril levèrent les yeux au ciel. A croire que le Dieu censé ne pas exister avait décidé de compliquer un peu les choses.

–C’est toujours comme ça, toujours ! grommela Engström en brandissant son Famas avec agacement alors qu’un flot de fantassins en uniformes blancs se répandait autour de lui.

–On ferait mieux de se dépêcher, le rabroua gentiment Grégory. Avec un peu de chance c’est les Russes qui apportent le gâteau.

–Ou au moins de quoi allumer les bougies, répliqua Cyril en fronçant les sourcils. Putains de Russkofs.



Dès qu’ils furent dehors ils furent submergés par le fracas de la DCA qui vrillait le ciel d’éclats lumineux, déversant sa haine sur une armada d’hélicoptères en approche. Au bruit sourd caractéristique, des Baer. La fête allait être animée. Greg courut dans le courant de soldats, Cyril dans la foulée. Ils furent poussés vers les abris à meurtrières, se préparant à accueillir comme il se devait l’infanterie russe ou d’éventuels parachutistes. D’un coup d’œil aux miradors, ils virent Christophe Oegler mitraillant l’horizon avec une lourde batterie antiaérienne rotative, le visage déformé par la tension, les bras secoués par la violence des vibrations.

–Bizarroïdes ! hurla quelqu’un alors que les premières explosions ravageaient la grande cour intérieure du camp, labourant la glace comme de la terre meuble.

Le tonnerre fracasse leurs tympans et les échanges remplirent les cieux de fumée noire et de flashs intenses. Cyril se plaqua contre une meurtrière et observa rapidement ce qui se déployait devant eux. Ses yeux s’ouvrir de surprise et d’effroi devant l’impressionnante armada que lui révélaient ses lunettes de vision améliorée.

–Putain de merde, jura-t-il. Cette fois ils ont mis le paquet… Y a des Bizarroïdes, des chars et des… des trucs…

Greg n’appréciait guère les rapports relatifs et ses gros yeux le rappelèrent à son ami.

–Je crois qu’ils ont des renforts asiatiques.

–Mécafantassins ?

–Yep.

Mertti avala l’information et inspira profondément. Ils avaient déjà entendu des histoires de Mécas envoyés en Europe en soutien aux Miest, mais pour lui, ce serait une nouveauté. Et pour être honnête, une expérience nouvelle dont il se serait bien passé. Il serra plus fort son Famas et ses dents. Le bourdonnement des hélicoptères était désormais omniprésent, mêlé à la fureur des détonations et… le rugissement de réacteurs de Furies !

–Oh, yeah ! hurla Omar Tarik dans leur micro. La cavalerie les gars !

Le bruit familier de Furies d’Assaut en formation se joignit au brouhaha et la bataille aérienne battit son plein au-dessus d’eux sans qu’ils ne puissent rien voit depuis leurs abris. Mais les explosions et les carcasses de Baer enflammées qui s’écrasaient dans la pleine devant eux leur donnaient une idée assez claire pour leur passer l’envie de sortir. En face les Miest atteignaient presque la première ligne de plots de béton, à plusieurs kilomètres de là, et décollaient du sol pour les survoler alors que les chars devaient se contenter de se mettre en position de défense. A leurs côtés, on devinait la silhouette de Mécafantassins peints en blancs qui slalomaient adroitement entre les défenses passives.

–On va se taper des bouffeurs de riz, les gars ! lança quelqu’un à la volée. Deux en un aujourd’hui !

Mais la terrible déflagration qui éventra plusieurs abris renforcés mit rapidement fin à l’euphorie : Les Miest étaient à portée de feu et déployaient leur terrible puissance de feu, alors qu’un vol de Furies fondait sur eux, transformant l’horizon en un enfer de flammes et de fumée capiteuse. Les Bizarroïdes rompirent leur formation et l’apocalypse se répandit sur des kilomètres aux alentours, le Kalanium répondant au Kalanium dans un fracas dantesque. Pourtant les fantassins européens ne pouvaient rien faire qu’attendre, les doigts crispés sur leurs Famas. Attendre l’ennemi. Les visages congestionnés, ils jetaient des regards prudents par les ouvertures pour contrôler l’avancée adverse, et lorsqu’une grêle de mitrailleuse lourde crépita contre le blindage des abris, ils surent que ce qui leur tirait dessus désormais n’était pas Russe.

–Mécas à portée !

–Essayez les Grangers !

A peine la cri avait-il retentit que Klaus Benard, le Granger Furie sanglé à l’épaule, se jetait sur les échelons d’une passerelle de tir. Il émergea de la trappe pour découvrir le chaos qui se déchaînait hors du camp et épaula le lance-roquettes au Kalanium, la mine décidé. Au milieu des boules de flammes et des colonnes noires asphyxiantes, il eut du mal à trouver sa cible, puis, émergeant des fumerolles infernales comme une horde de démons, il vit une escouade de Mécafantassins pour la première fois de sa vie. Des machines à la stature impressionnante, de forme humaine et très lourdement armées… Il avait entendu dire que les Etats Unis d’Asie les fabriquaient sans pilote désormais, commandés à distance comme les Bizarroïdes. Il était temps de mettre la rumeur à l’épreuve. Il visa le Mécafantassin le plus dégagé et tira une première roquette qui frappa le squelette de métal avec toute la brutalité du Kalanium, le soulevant presque du sol pour le projeter contre un plot de béton contre lequel il s’affaissa. Le bras mécanique armé d’une lourde mitrailleuse se mit à cracher la mort dans sa direction, mais Klaus savait garder son sang froid. Le Méca ne résisterait pas à un deuxième tir, il le sentait, et il appuya encore sur la détente. Le trait mortel fila vers la machine moribonde et la pulvérisa, un bras s’envolant plusieurs mètres plus loin, le reste s’embrasant comme une fleur de feu. La formation asiatique repéra bien vite sa position et il dut bondir pour éviter la mitraille qui déchiqueta le métal autour de lui. Les étincelles pleuvaient autour de lui alors qu’il se réceptionnait dans l’abri, le Granger de retour sur son épaule.

–Deux coups au but suffisent, dit en se redressant alors que ses compagnons l’observaient, médusés par son calme. Je suis déçu.

Une onde de choc les plaqua tous au sol et fit s’effondrer une partie du blindage, révélant des failles par lesquelles ont voyait trois Mécas à une vingtaine de mètres de là, lance-missiles fumant à l’épaule.

–Dispersion !

Klaus bondit en avant tandis que les balles fusaient, traversant les parois affaiblies, fauchant les Européens les plus malchanceux dans de grandes effusions carmin. Il faillit renverser Greg qui venait à sa rencontre au milieu de la panique.

–Nos défenses cèdent, il va falloir se les faire dans le périmètre, grogna Cyril. C’est toujours la même chose…

–C’est ton radotage qui nous porte la poisse ! cingla Grégory en le tirant en avant. Avance !

Les rafales claquaient autour d’eux, les hommes tiraient en l’air alors des Baer et des Furies croisaient le feu dans un ballet mortel, mais les trois hommes se pressaient sans paniquer. Ils avaient connu pire… Parfois. Le VAB de Tarik passa en trombe dans la cour intérieure, sa tourelle en action, et Greg mena ses amis derrière le couvert du blindé. Omar les vit en un clin d’œil et leur fit un bref signe de tête. Greg l’ignora, focalisé sur ce qui se passait au niveau des murailles de blindage en loques.

–Où est Erwin ? hurla-t-il à Klaus.

–Comment veux-tu que je le sache ? aboya Klaus en escaladant le VAB pour se dresser sur le toit, armant le Granger dans la foulée.

–Mais t’es malade ! Tu veux t’accrocher une cible autour du cou ?

–L’angle de tir se fera pas tout seul !

Cyril jeta un regard fou sur son camarade puis aux alentours et distingua au loin la silhouette reconnaissable entre mille d’Erwin Helm qui beuglait des ordres en faisant de grands signes de bras. Mais l’heure n’était peut-être pas aux politesses, et le déchirement métallique d’un Mécafantassin éventrant les défenses lui donna raison bien trop vite.

–Attention ! cria-t-il en plaquant Greg au sol alors que l’engin asiatique déchaîna sa puissance de feu sur les fantassins européens qui tombaient comme des mouches.

Le pourpre souillait la neige tout autour d’eux, tout devenait rouge et noir, feu et fumée, sang et cendre. Cyril avait le visage sur la glace, les gaz d’échappement du blindé l’asphyxiaient. Il entendit plus qu’il ne vit l’explosion qui coucha le Méca, mais dès que l’appareil s’effondra sur le dos, Greg, le regard noir, se déroba à sa protection et sprinta vers l’engin, une grenade K à la main.

–Greg !

Grégory ne voyait plus les miradors et les Furies, il n’avait plus que le Méca en tête. Il n’en avait jamais affronté, mais Klaus en avait anéanti un en deux coups de Granger, alors une grenade au Kalanium devrait suffire. Il le fallait. L’engin s’agitait péniblement en vomissant une fumée âcre alors que certains le mitraillaient de leur Famas. Lorsqu’ils virent Greg fonçant tête baissée, les tirs cessèrent. Il serrait les dents, priant pour que cette chose qui ne lui semblait pas aussi énorme lorsqu’il s’était élancé ne se réveille. Le titan s’ébranla et commença à se redresser, et Grégory n’était encore qu’à mi-chemin, les yeux horrifiés. Il avait peut-être eu les yeux plus gros que le ventre ce coup-ci…

–Greg ! beuglait Klaus. Casse-toi je m’en charge !

D’un bond, l’engin se redressa sur ses jambes dans un grincement abominable. Son carénage était complètement déformé et calciné, mais ses mitrailleuses semblaient toujours fonctionnelles et se tournèrent aussitôt… vers Klaus. Greg réalisa qu’il n’avait quelques instants pour agir. Le souffle court, il s’approcha, les jambes arquées, prêt à bondir pour éviter les mouvements de la lourde machinerie. Ses yeux scrutaient le cockpit ovale fendu, cherchant peut-être à distinguer la silhouette d’un pilote. Les bras firent feu sur le VAB tandis qu’Omar Tarik lui rendait la pareille autant qu’il le pouvait, la bouche grande ouverte dans un cri d’exultation. Sachant qu’il n’avait plus que quelques secondes pour agir, Greg se jeta vers le Méca et agrippa un échelon alors que l’appareil faisant un pas de côté pour garder l’équilibre. Les balles de Tarik crépitaient au-dessus de sa tête alors qu’il coinçait sa grenade dans une faille de carénage avant de se jeter au sol. Il heurta lourdement la glace, haletant. Et la grenade explosa.

Le souffla l’écrasa au sol et il lui semblait qu’il s’enfonçait dans la neige pourtant bien tassée. Un grognement d’agonie mécanique annonça la chute du colosse et il roula sur lui-même pour éviter de se faire écraser. Le choc fit trembler la terre et l’espace d’un instant un terrible acouphène le priva de tout autre son que ce sifflement insupportable. Allongé sur le dos, il observa le ciel laiteux où une formation de Furies fonçait vers la zone occupée. Les choses semblèrent se calmer, il resta là un instant sans vraiment réaliser que l’enfer s’éloignait peu à peu. Bien sûr, les Russes reviendraient, ils revenaient toujours. Ce n’était que leur harcèlement quotidien…

Une main gantée envahit son champ de vision, il grimaça, le visage noirci.

–Tu me gâche la vue.

–C’est marrant, Klaus disait la même chose de toi quand il essayait désespérément de te sauver la mise.

Mertti accepta le soutien de son ami et se releva en soufflant, imaginant déjà le décompte de bleus qu’il venait de gagner. Klaus les rejoignait justement, le Granger pendant négligemment par la sangle. Il peinait à se forger un visage contrit, son sourire en coin trahissant ses véritables pensées.

–Tu as failli te faire tuer bêtement.

–J’avoue que ça a l’air plus facile quand tu le fais.

–Comment ça, ça a l’air facile ?

Greg vit qu’Erwin inspectait déjà les dégâts, les hommes faisant leur rapport avec l’enthousiasme de la victoire. Les pertes n’étaient pas aussi lourdes qu’ils l’avaient crains en voyant débarquer une telle armada, et un coup d’œil au-delà des défenses en ruine offrait une vision extraordinaire de carcasses par dizaines : Hélicoptères, Miest, Mécas. Déjà certains hommes prenaient des photos souvenirs en posant sur les épaves asiatiques comme s’ils les avaient abattus eux-même. Ils s’en sortaient bien.

–Le grand jour n’était toujours pas pour aujourd’hui, leur dit finalement Erwin en arrivant à leur niveau. Je suppose que les Mécafantassins c’est pour nous foutre les jetons.

–Pas très efficace.

–Ce n’est qu’un début, l’avertit Helm, le front soucieux. Les Asiatiques tâtent le terrain, et je suis pas sûr que leurs trucs soient prévus pour ces conditions extrêmes.

Greg se tourna vers ce qui restait de son adversaire mécanique et le désigna du chef.

–C’est moi qui l’ai eu, tu sais ?

Klaus explosa de rire et lui donna une claque amicale à l’épaule. Il avait l’air de trouver la chose vraiment cocasse. Greg en fut presque vexé. Benard se posta devant la carcasse fumante et vit un bras déchiqueté et brûlé entre deux plaques de métal.

–Je le savais qu’ils avaient des pilotes.

–Hey, Erwin, lança Cyril à la cantonade, attirant l’attention des plus proches.

Il laissa s’installer un silence théâtral, et le lieutenant, faisant la moue, fut forcé d’insister.

–Oui… Cyril ?

–Joyeux anniversaire, fredonna Engström en arborant son sourire le plus fier. Joyeux anniversaire !

–Joyeux anniversaire, Erwin ! Enchaînèrent Greg, Tarik et Benard. Joyeux anniversaire !

Erwin avait viré au rouge pivoine et se frottait le menton, l’air gêné, les yeux rivés sur ses bottes. Il se dandinait dans son uniforme blanc, les lèvres agitées.

–Merci pour ta discrétion habituelle, Cyril…

–Hey, les gars ! hurla Tarik. C’est l’anniversaire du lieutenant !

Les hommes levèrent la tête et se tournèrent vers eux, ignorant les brasiers, les colonnes de fumées, les cadavres, les cratères et les ruines. Konrad Wilhelm, Gaël Vanhammer, Christophe Oegler, Omar Tarik... Tous affluèrent, ôtant leurs casques malgré le froid polaire. Ils entonnèrent un chant imprégné de la fatigue du combat et de la joie d’en être sorti, un chant pour leur lieutenant, leur chef et leur ami. Un chant de respect et de camaraderie. Un chant tout bête, comme un défi au carnage auquel ils venaient de survivre.

–Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire !

Erwin les embrassa d’un regard humide, ravalant son émotion. Cyril et Greg étaient visiblement très fiers d’eux et échangeaient des sourires entendus. Il les balaya d’un geste de la main. Ces deux là ne changeraient jamais. Malgré la guerre, les blessures, la mort, ils resteraient ses amis les plus fidèles. Il ne dit rien, il ne pouvait rien dire.

–Joyeux anniversaire, lieutenant ! Joyeux anniversaire !

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