jeudi 18 novembre 2010

De l'envie d'être publié, ou en un mot : Galère

Ça m’est revenu comme ça, j’ai décidé de retenter le coup. Renvoyer des manuscrits à des éditeurs, pour le sport. Le site ne contient donc plus que le début de chaque tome, les nouvelles restent en intégralité. D’ici six à huit mois les choses pourraient rentrer dans l’ordre (ou pas, souhaitons-le moi !) Évidemment, je connais les statistiques et donc je ne me lance pas la fleur au fusil « Dans 10 jours à Berlin » façon 1914, mais bon, je ne tenterai pas le coup si j’étais complètement pessimiste. Toutefois je trouve le moment bien choisi pour évoquer les déboires de la publication, ou pour être plus exact des déboires de l’envie de publication.


Quand vous avez seize/dix-sept ans et que vous boucler 210 pages qui ne sont que la première partie, que vous enchaînez avec enthousiasme la partie 2 et que des proches vous soutiennent, vous vous sentez pousser des ailes. Normal, après tout, et tout auteur a ressenti ce mélange de fierté, d’excitation et d’appréhension à l’heure d’envoyer pour la première fois son manuscrit fraîchement imprimé-relié. Puis l’attente – fébrile comme il se doit. Puis les lettres de réponses. Polies – comme il se doit. On a beau le savoir, faire semblant de s’y préparer mentalement, les refus font mal, d’autant plus quand trois maisons vous renvoient pratiquement la même lettre mot à mot, vous assurant naturellement qu’elles ont bien lu votre manuscrit, mais que malgré les – nombreuses – qualités de votre texte celui-ci ne correspond pas à la ligne éditoriale, celle-là même que vous avez pris soin de vérifier directement en librairie en flânant dans les rayons, ou tout simplement dans votre bibliothèque personnelle. Sur le moment l’exaltation laisse place à un flot de sentiments qui vont de la colère à l’incompréhension en passant par l’attitude Caliméro : Personne ne vous aime. Ou bien personne ne reconnaît l’étendue de votre talent. Blabla.


Alors commence une étape nouvelle, la relecture post-refus. Celle où vous essayez réellement de vous mettre dans l’état d’esprit de l’éditeur – à ce moment-là vous ne pensez pas encore «l’état d’esprit du stagiaire de l’éditeur ». Et là, soudainement, c’est fou comme votre texte vous paraît creux, superficiel, inachevé. C’est pourtant le même qui, six mois plus tôt, faisait votre fierté. La claque encaissée et l’ego remis à sa place, on va pouvoir travailler. Relire, corriger encore toutes ces coquilles invisibles auparavant et qui désormais vous sautent au visage rien qu’en feuilletant le manuscrit que vous avez : a) Réimprimé pour l’occasion b) Payé une fortune pour vous le faire renvoyer par l’éditeur. Moi, dans mon « malheur », j’ai eu du bol, en réalité. J’ai reçu une lettre argumentée d’une désormais ex-employée de Gallimard, que je salue au passage. Cette lettre, c’est encore aujourd’hui une relique précieuse de mes débuts de galère, un talisman qui me protège contre l’abattement complet et l’abandon, et il m’arrive de la relire quand j’en viens à me dire « Finalement, à quoi ça sert de t’être cassé le cul pendant huit ans ? ». En substance, le texte était riche en idées, mais il fallait surtout retravailler mes personnages pour les différencier. C’était pour moi plus qu’un conseil, c’était un défi.


Retravailler le tome 1 était difficile. Pour la simple et bonne raison que, dans mon esprit, il initie un mécanisme et déclenche un effet boule de neige qui enfle de tome en tome et atteindra son paroxysme dans le tome 4. Problème : L’évolution des personnages doit s’étaler sur 4 parties et ne pas se produire en un claquement de doigt. Et comme le tome 1 pose les bases d’un univers où la jeunesse est formatée, partage une culture, une langue, une pensée commune, difficile de manœuvrer avec la directive : Différenciez vos personnages. Le seul à vraiment se démarquer de base était Erwin, naturellement, et il m’a fallu non seulement mettre de l’eau dans mon vin dans un premier temps pour atténuer le côté « clone », mais aussi apprendre à nuancer, à relativiser, en un mot, à être subtil. Nous sommes en 2010, j’essaye encore avec des résultats certes encourageants mais pas encore probants (un bêta-lecteur qui se reconnaîtra pourrait vous parler du penchant pour l’alcool d’un certain Nyja S.) J’ai donc dû lutter avec mon envie de montrer des divergences progressives en initiant dès le départ les futures différences. Dans le cas de la chambrée, ils avaient déjà un pied en dehors de la ligne – influence d’Erwin – mais effectivement ils étaient encore trop proches. J’ai donc forcé légèrement le trait au risque de trop les typer dès le départ, et bien que le texte de base ait été écrit en 2002/2003, ma relecture de cet été n’y a pas coupé : réécriture, réécriture, réécriture. Parfois je reviens à d’anciennes idées sans même m’en rendre compte, mais elles sont influencées par les progrès survenus au niveau de la trame globale. Des scènes sont donc très différentes voire supprimées. Exemple : Dans la version actuelle, l’attaque du Porte-Furie a disparu, elle est évoquée mais sa description n’y est plus, je l’ai trouvé inutile aujourd’hui, alors que je m’étais entêté des années à la garder et me suis échiné à la réécrire pour « l’harmoniser » avec le reste. Maintenant le problème est réglé. La scène de l’exercice dans l’avion en présence de l’instructeur américain est très différente, et sa portée est beaucoup plus grande car reliée aux intrigues plus vastes de Pax Europæ, notamment la Guerre Civile Ethnique aux USA. Je reviendrai sans doute sur l’évolution d’une scène en particulier en comparant versions primitives et version actuelle dans un prochain article, revenons à nos moutons (électriques ?).


Une fois cette réécriture « je suis éditeur et pas auteur » passée, on remet promptement le tablier d’auteur parce que, il faut bien l’avouer, éditeur n’est pas notre métier, et à force de retravailler d’un point de vue extérieur sur son texte on finit par en avoir marre et à trouver tout ça vide de sens, voire carrément mauvais, et là l’autodépréciation / flagellation / mortification guette. Gros piège qui a sans doute découragé plus d’un auteur. Nouveau défi, se remettre à la tâche en se focalisant sur les points positifs : 1) Il y a de bonnes idées 2) Gallimard n’a pas envoyé une réponse type mais une lettre d’encouragement, ce n’est donc pas forcément à l’écriture ce que Breeze Toilettes Marines est au monde feutrée de la parfumerie, et surtout 3) On écrit avant tout pour soi, et tant qu’on y prend plaisir, l’essentiel est atteint. Quand on a calmé ses velléités d’auteur maudit et qu’on se remet à bosser sur son projet personnel et pas sur un projet d’édition, ça va déjà mieux, on regagne peu à peu un peu de confiance en soi (Sans oublier les ruminations « Ils n’ont pas compris » « il faut être pistonné » « Ils le regretteront un jour » en se souvenant avec conviction du succès improbable de Rowling et de ses sorciers – j’exclue Paolini et ses parents éditeurs, d’autant que pour le coup, Christopher n’a fait que compiler Tolkien, Lucas et Mac Caffrey sans y ajouter quoi que ce soit d’original).


Mais chassez le naturel et il revient au galop. Des années plus tard, le labeur accompli et les révisions accumulées, on se sent prêt à se relancer. Et quand les refus reviennent les uns après les autres et que le désespoir s’installe, on cherche des alternatives. Deux possibilités : L’édition à la demande (on ne paye que ce qu’on fait imprimer) et l’édition à compte d’auteur. Pour le second, payer 2 000 balles pour un résultat fumeux et des promesses mirobolantes m’ont poussé à me renseigner tout d’abord et à lire les récits des expériences désastreuses d’autres auteurs qui n’hésitent pas à parler d’escroquerie, puis à rayer fermement cette possibilité de ma liste. Je n’en dirai donc pas plus sinon que les témoignages sur la question abondent sur les forums. Mais je l’avoue sans ambages, j’ai tenté l’édition à la demande et… ce fut un désastre. Je partage la faute avec l’éditeur en question, je le concède, mais la qualité du produit et les problèmes (absence ?) de communication et délais abusifs m’ont vite fait déchanter. Evidemment, il est agréable de tenir dans ses mains un exemplaire imprimé de son texte avec une couverture brillante et tout et tout. Parfait. Mais sans correction professionnelle et sans travail de bêta-lecture par des gens qui connaissent leur métier, ça reste un texte amateur criblé de faute. Bien imprimé, certes, mais ce qui compte c’est le texte, avant tout. J’ai finalement rompu mes contrats avec cette maison d’édition sur internet et récupéré mes « droits ». Sachant que, si par un heureux hasard providentiel je devais être réellement publié (excusez ce lapsus révélateur), je serai dans l’obligation de mentionner sur la page de garde que j’ai été « découvert par [maison d’édition à la demande] ». La bonne blague.


Finalement en désespoir de cause j’ai décidé d’opter pour la liberté – et la dangerosité – d’internet. J’ai mis mes textes en ligne. J’ai lu beaucoup des réactions sur ce genre de procédé à gauche à droite, beaucoup le font comme un acte militant en réaction au népotisme des « fils de » et des « people » ou auteurs bien établis qui monopolisent les « grandes maisons d’édition » qui ne se foulent pas pour dénicher de nouveaux talents. Noble cause, et pas toujours complètement faux (Les talents littéraires de personnes surfant sur leur succès en téléréalité ou l’intérêt d’une biographie d’un acteur d’à peine la vingtaine qui joue les vampires étincelants ne m'ont pas encore convaincu). Moi je le fais surtout car je n’ai guère d’autre choix. Cela me permet également de regrouper mes nouvelles, mes cartes, mes bonus divers, et bientôt, j’espère, le jeu de rôle. Mon site est devenu pour moi une plateforme de travail, le blog me servant à compléter le tout. Très bien, mais voilà, après ma profonde relecture en Grèce je cède à nouveaux aux appels de l’ambition, celle d’intéresser un professionnel, et un lectorat. De tenir dans ma main une version corrigée, propre et définitive de mon texte, et de pouvoir lire sur des forums des gens qui « aiment » ou qui « détestent », mais qui ont lu, qui ont été intéressé. Le désir d’interpeller est peut-être dû à la vanité, c’est fort probable, mais après avoir travaillé toutes ces années sur le même univers, l’avoir peaufiné, modelé, lui avoir donné le jour et l’avoir vu grandir, n’est-il pas normal de vouloir le faire partager ? N’est-il pas légitime de ressentir cette envie de connaître l’opinion de lecteurs aux goûts et aux références divers ? Car si la fierté de voir un jour son « livre » en rayon fait rêver tout auteur au moins une fois – et je ne déroge pas à la règle – ce qui me pousse à l’édition c’est surtout de savoir que des gens ont lu le résumé, feuilleté l’ouvrage, et ont décidé de le lire. Peut-être que cela leur aura plu ? Peut-être pas ? Mais ces années de travail ne seraient pas resté en vain sur un disque dur. Cela leur donnerait un sens. Donc je renvoie une fois encore, qui ne tente rien n’a rien et, de plus, je me sens d’humeur audacieuse.


Alors bien sûr, dans six mois, les réponses à la main je me retrouverai sans doute à nouveau mauvais, sans imagination ni talent. Blabla. Puis je remettrai probablement mes textes en ligne en intégralité, peut-être même accompagné du tome 4 alors achevé, en ayant retrouvé le bon état d’esprit :


3) On écrit avant tout pour soi, et tant qu’on y prend plaisir, l’essentiel est atteint.




PS : Petite MAJ du site en plus du remplacement des tomes par leur intro, une nouvelle section est apparue dans « Guide Historique », vous y trouverez un court texte dans le style qui m’a tant plu dans l’excellent World War Z de Max Brooks. Un exercice de style et l’occasion de creuser le background de l’univers Pax Europæ. Illustration : Pensez Positif.

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